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468 ['ÉLOPONÈSE. ii. CORYNTHE. En approchant de Corynthe, j'étais comme un voyageur pou- dreux qui regarde avec honte ses vêtements délabrés et n'ose pénétrer ainsi dans une ville somptueuse, s'imaginant que tous les habitants vont lo regarder passer avec le sourire du mépris et du sarcasme. Je jetai donc un regard inquiet sur mes piteuses montures et sur moi-même, au moment d'entrer dans cette ville dont le séjour était si envié chez les anciens et dont ils disaient : « 11 n'est pas donné à tout le monde d'aller à Corynthe. » Mycè- nes, que je laissais à si peu de distance derrière moi, troublait encore mon esprit comme un mauvais rêve, et je m'efforçais de l'oublier. Quelle différence entre ces deux villes ! A Mycènes , de noires montagnes, de funèbres cavités, une religion pleine de sombies mystères, de crimes inouïs et d'affreuses expiations. A Corynthe, au contraire, un ciel riant, un rivage harmonieuse- ment découpé par la mer, un culte qui s'épanouit au grand jour et ne s'adresse qu'aux plus séduisantes divinités. Point de funes- tes épisodes dans son histoire ; presque point de guerres ; aucun de ces combats qui procurent la gloire à force de carnage ; c'est presque l'histoire du plaisir chez les anciens. Quand on voit Corynthe aujourd'hui, le contraste du présent avec le passé n'a rien qui navre le cœur ; elle semble simplement en proie à ce doux accablement et à cette mélancolique inaction qui viennent après une longue fête. Lorsque nous eûmes dépassé et laissé sur la gauche un pic élevé surmonté d'un petit fort avancé, nous prîmes l'Acro- Corynthe à revers et nous atteignîmes la grande porte de la citadelle, après avoir gravi une pente escarpée. Une dizaine de soldats grecs gardent cette citadelle immense qui contenait une armée entière, et des mosquées, et le palais et le nombreux sé- rail du pacha. Au moyen de nos passeports,nous obtînmes l'au- torisation d'en parcourir l'enceinte. Elle était autrefois ornée de