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410 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. et la pensée font le mérite de la poésie autant que la régularité du plan et la pureté de la versification. Bien souvent dans notre enfance nous nous sommes figuré que le monde finissait à notre horizon ; bien souvent plus tard nous avons été tenté de croire qu'il n'y avait que bien peu de choses en dehors de notre littérature française, et plus rien après la littérature des peuples civilisés de l'occident ; pour ceux qui seraient dans cette même erreur, M. de Servan de Sugny est venu montrer d'immenses domaines où jamais notre orgueil n'est allé moissonner. Un seul homme, Victor Hugo, a osé explorer ces mondes inconnus , et il en a rapporté ses Orientales, son meilleur livre peut-être ; un de ceux du moins où il a prodigué le plus de puissance et d'ima- gination. Cet exemple devrait être plus suivi, aujourd'hui sur- tout que nous possédons l'Algérie, dont la population tient au peuple arabe par tant de liens. Notre imagination ne pour- rait que s'enrichir à la lecture d'une foule de poètes dont les noms sont à peine venus jusqu'à nous .- de Nezhami, par exem- ple, l'auteur du poème d'Alexandre-le-Conquérant, de Lébid, un des rivaux de Mahomet en poésie ; de Hafesh qui donnait deux des plus belles villes de l'Orient pour le point noir qui ornait la joue de sa maîtresse ; de Jami, d'Antar et de bien d'au- tres , moins grands sans doute que nos maîtres vénérés, les Homère, les Dante, les Milton, mais mille fois au-dessus de cette fourmilière de littérateurs dont les ouvrages se trouvent habituellement dans nos mains. Bien peu de nos poètes vivants, du moins nous le croyons , oseraient mettre leur plus belle tirade à côté de ce fragment du poème de Schanfara qui décrit si vigoureusement les mœurs sauvages du désert : « Partez, enfants de ma mère, retournez sur vos pas. Il me faut désormais d'autres compagnons que vous, une autre fa- mille que la vôtre. Cette famille, je vais la trouver au désert : ce sera le loup, coureur infatigable ; ce sera la panthère, au poil ras et brillant, l'hyène au poil hérissé. Voilà mon monde ; avec eus un secret n'est jamais trahi, et le coupable n'est pas