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252                         PÉLOPONÈSE.

 une grande tour en brique de construction romaine, je me trou-
 vai dans l'enceinte du théâtre. Le théâtre d'Ârgos est un des plus
 grands et des mieux conservés de la Grèce ; ses gradins, taillés
 dans le roc, sont intacts comme au premier jour, et chacun des
 spectateurs d'autrefois pourrait trouver encore, s'il y revenait, la
place qui lui était réservée ; des mousses éparses et de rares
brèches, dues à l'action corrosive de l'air et des pluies d'orage,
indiquent seules que les hommes ont depuis longtemps cessé de
le fréquenter. Le théâtre fait face à la mer et est adossé contre la
montagne ; il a, pour tenture, le ciel, ce ciel de la Grèce sans
rival au monde ; pour premier plan, les montagnes du Pc-
loponèse d'un côté; de l'autre, celles de la Corynthie ; dans
le lointain, le rocher de Nauplie et le flot bleu du golfe Argolique.
Quels magnifiques et grandioses décors! Combien cette foule
impressionable qui s'assemblait là pour entendre débiter les
vers de Sophocle, d'Eschyle et d'Euripide, devait être profondé-
ment émue par les pathétiques accents de cette poésie ; et quelle
sublime entente devait exister entre les acteurs qui parlaient
sous la voûte sonore et harmonieuse de ce superbe ciel, et ceux
qui les écoutaient. Ces derniers, le spectacle étant fini, restaient
immobiles à leur place pour assister à un autre spectacle peut-
être plus saisissant encore que le premier. Car c'était vers le dé-
clin du jour, à cette heure où la nature s'éveille du lourd som-
meil de la journée et frémit comme une assemblée d'hommes
qui s'ébranle, où les forêts chantent au souffle du vent du soir,
où la mer fait entendre son grave et solennel murmure, tout
plein alors des poétiques échos de la tragédie qui finissait à peine.
A ce moment enfin, le soleil, majestueux et fier, tombait à l'ho-
rison et disparaissait peu à peu dans la mer, comme l'acteur qui
achève de réciter son rôle et se retire lentement devant le peuple
qui l'applaudit.
   Il y a quelques années, ce théâtre s'emplit tout-à-coup d'un
tumulte inaccoutumé; une foule nombreuse et bruyante se pres-
sait sur ses degrés ; ce n'était plus comme autrefois pour voir
jouer une tragédie ou entendre chanter des vers ; un intérêt plus
puissant et plus sacré l'y attirait. Ce jour-là, le peuple s'y rendait