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PÉLOPONÈSE. 263 Après la prière, les hommes se contentèrent de dénouer le mince lacet qui serre la foustanelle à leur taille, les femmes rou- lèrent un mouchoir autour de leur tête, et tous s'étendirent sous une seule et même couverture de laine, assez grande pour cou- vrir tous les membres de la famille. A peine commençaient-ils à dormir qu'on frappa à la porte ; c'était un pauvre vagabond qui cherchait un gîte pour la nuit. On lui cria d'entrer ; la vieille mère le reçut avec le kalûs orisété habituel et jeta sur le feu une grosse branche sèche qu'elle prit dans un énorme fagot préparé d'avance à la portée de sa main. L'étranger, après avoir un instant séché ses vêtements détrempés par la pluie, se glissa doucement à côté des autres sous la cou- verture générale. 11 ne lui fut demandé ni qui il était, ni d'où il arrivait, ni où il allait, ni s'il pourrait, avant de partir, payer la part qu'il avait prise dans le lit commun ; il lui suffisait d'être pauvre, fatigué et sans abri, pour avoir un droit acquis à l'hos- pitalité de ces braves gens. Quant à moi, je ne pus réussir à m'endormir complètement ; j'écoutai la pluie tomber sur le toit et je mesurai la longueur du temps à voir l'aïeule qui, toujours éveillée, allongeait d'heure en heure son bras décharné pour remuer les cendres et jeter du bois sur le feu. Dans la fièvre pénible de mon demi-sommeil, je croyais voir une effrayante magicienne accomplissant ses mysté- rieuses opérations et évoquant des âmes sur la fumée de son foyer cabalistique. Eugène YEMENIZ.