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74 PÉLOPONÈSE. ment, se dépouille de ses charmes à mesure qu'on s'en approche. Je n'éprouvai point cette déception, et la jeune fille, quand nous nous trouvâmes auprès d'elle, me parut telle que je l'avais vue de loin ; corps nerveux et fin, taille mince et cambrée, visage dont l'harmonieux ovale réunissait en lui tous les termes clas- siques de la beauté ; je n'ai jamais vu, dans aucune partie de la Grèce, le type des antiques perfections si purement et si entièrement conservé. Toutes les femmes que j'ai pu remarquer n'étaient auprès de celle-ci que desfillesplus ou moins déshéritées des dons superbes que la nature prodiguait à leurs mères. Cette beauté, du reste, excite plus l'admiration qu'elle ne trouble les sens ; elle réveille à un puissant degré le sentiment artistique et semble commander le silence aux passions. La vue d'une telle beauté, reflet appauvri sans doute des beautés d'autrefois, ex- plique l'incomparable perfection des chefs-d'œuvre des Phidias et des Praxitèles ; cet idéal de la forme que nos artistes n'aper- çoivent qu'en songe, dont ils ne saisissent que des lambeaux parmi nos races dégénérées, et qui échappe sans cesse à l'exé- cution, les artistes grecs le trouvaient à chaque pas réalisé sous leurs yeux ; ils n'avaient pour ainsi dire qu'à regarder autour d'eux et à copier, et ils créaient ces œuvres immortelles qui sont pour nous le type accompli de la beauté humaine. A peine étions-nous installés dans une grande salle et autour d'unetable amplement couverte de rafraîchissements, que la jeune fille s'en alla, après avoir décroché de la muraille une cithare à trois cordes, qu'elle suspendit à son épaule par un large ruban de soie bleue. Dans une chambre voisine où le regard pénétrait par une fenêtre ouverte sur la galerie, son père, en proie à une violente fièvre, était étendu sur un vieux tapis, la tête posée sur sa ceinture garnie d'armes, le corps enveloppé du large et épais manteau fait de poil de chameau, dont les Grecs se servent pour se garantir du froid et de la pluie. C'est auprès de lui que la jeune fille se rendait; elle écouta longtemps sa respiration, puis voyant qu'il ne dormait pas, elle se mit à son chevet, un genou en terre, appuyant sur l'autre son bras droit et sa guitare. Le corps anxieusement penché vers le malade, elle commença