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212           ÉLOGE DE LOUIS-GABUIEL SUCHET.

En ce moment d'effervescence générale, augmentée peut-être
par les malheurs de Toulon, le proconsul Maignel, qui avait
prononcé la sentence, força le jeune Suchet, alors comman-
dant du 4 e bataillon de l'Ardèche, d'en proléger l'exécution.
Ainsi le grand Turenne fut forcé jadis d'incendier le Pala-
tinat ; mais Turenne ne se trouvait pas, comme Suchet,
placé entre l'échafaud et l'obéissance à des ordres supé-
rieurs , à des ordres sanguinaires. 11 n'était pas alors,
comme Suchet, dans cet âge tendre qui subit une fatalité
et pour qui le temps de la réflexion n'est pas encore venu.
Et cependant Turenne, homme d'expérience, doué de la ma-
turité de l'âge, mit à feu et à sang le Palatinat, pays uni et
fertile, couvert de villes et de bourgs opulents. 11 brûla, avec
le même sang-froid, une partie des campagnes de l'Alsace,
pour empêcher l'ennemi de subsister, et il permit ensuite à
sa cavalerie de ravager la Lorraine !
  Mais nous tous qui vécûmes dansles troubles el les agitations,
nous n'échapperons pas aux regards de l'histoire. Qui peut
se flatter d'êlre trouvé sans lâche dans un lemps de délire,
où personne n'avait l'usage de sa raison !
   Telle est la faiblesse humaine, que le talent, le génie,
l'héroïsme, la vertu même peuvent quelquefois franchir les
bornes du devoir. Disons que Suchet ne voulut pas faire mal.
il ne fît qu'obéir bien jeune encore, et son obéissance ne
saurait faire retomber sur sa tête la responsabilité de cet acte
de sauvagerie. C'était le temps où les proconsuls de la Con-
vention se partageaient les provinces de la France et y exer-
çaient, au nom du Comité de salut public, un pouvoir absolu
et souvent sanguinaire. La fortune, la vie ou la mort des
familles étaient dans un mot de la bouche de ces représen-
tants, dans une signature de leur main.
   L'histoire doit faire peser la honte de cette action sur la
tête du proconsul Maignel qui, dans le Midi, s'efforçait alors