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DU LION ET DU TIGRfc. 137 auguste époux dans un pantalon de daim, tellement collant, qu'il fallait deux domestiques pour le précipiter dans ce dou- ble entonnoir qui ne cédait qu'à la force de l'impulsion. Le fameux Brumell, renchérissant encore sur son maître, se faisait coudre ses pantalons sur place. La plus parfaite amitié régnait au reste entre ces deux tigres, animés de la louable émulation de se surpasser mutuellement en excentricité. Si le tigre royal semait son parc de temples et de mosquées, le tigre domestique mettait le feu à son château pour en chasser les rats; l'un dépensait des milliers de livres pour entretenir des poissons dorés dans un ruisseau bourbeux, l'autre, pour pêcher plus commodément les siens, lâchait les écluses de ses étangs, et inondait dix lieues de pays. Le roi d'Angleterre mettait de fausses queues à ses chevaux, le roi de Balh cou- pait les oreilles aux siens. Georges IV s'habillait en chef écossais, Georges Brumell ne s'habillait pas du tout. Sans doute il existe encore de vertueuses ladies qui se souviennent de la rougeur qui couvrit leurs fronts à l'apparition dans Saint-James-Park, du beau Brumell, dans le singulier cos- tume qu'il portait, ou plutôt, qu'il ne portait pas. Celte ex- centricité fut la dernière. À quelques jours de là , dans une de ces réunions intimes qu'en France nous désignons bruta- lement par un nom que la pudibonde langue anglaise n'ad- met pas, le tigre domestique osa dire au tigre royal : « Georges ring the bell for my coach (Georges, sonnez pour avoir ma voiture). »Ce soir-là , soit que le royal quadrupède eût pris plus que sa pâture accoutumée, soit par quelque autre raison que l'histoire ne nous a point révélée il prit fort mal cette inno- cente familiarité, lui qui en avait toléré dont aucun langage n'oserait dire les énormilés. Sa majesté féline rompit avec son ami, et quand il fut officiel que le brillant Brumell n'était plus l'heureux émule du roi, la faveur publique l'abandonna aussitôt. A cette funeste nouvelle, ses créanciers le menacé-