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CHARLES NODIEH. 73 lesse dont nous remplit tout ce qui est passé, la rose effeuillée qui ne fleurira plus et l'amour éteint qui ne renaîtra point. Alors il est bien lui : il dit comme Montaigne : les ans m'em- portent s'ils veulent, mais à reculons 1 ou d'un ton plus péné- tré : « Dieu tout puissant, que vous ai-je fait pour ne pas me rendre,au prix de ce qui me reste dévie, une de ces mi- nutes de mon enfance! Hélas! tout homme qui a éprouvé, comme moi, l'illusion du premier bonheur et des premières espérances, a subi, sans l'avoir mérité, le châtiment du pre- mier coupable. Nous aussi nous avons perdu un paradis. » Ces touchantes paroles sont dans Séraphine, la plus pure, la plus gracieuse de ces réminiscences de jeunesse. Quoi de plus naïf, de plus frais et de plus spirituel en même temps que la conversation entre Séraphine et Maxime sur le banc de pierre de l'allée des marronniers et que cette autre scène heureuse- ment assez courte pour que nous la citions toute entière : « Après m'être fatigué deux heures à la chercher où elle n'était pas, je tombais ordinairement de lassitude sur le canapé du salon, pour la piquer de mon indifférence ou ne pas la contrarier dans sa malice. Elle arrivait alors, légèrement soulevée sur la pointe des pieds, alongeant ses pas suspen- dus avec précaution, frissonnant au bruit du parquet avant qu'il eût gémi, et une corbeille au bras, ses cheveux s'échap- pant de toutes parts en ondes dorées sous le chapeau de paille mal attaché qui ne les contenait plus, la tête un peu penchée sur l!épaule, l'œil fixe et craintif, la bouche entr'ouverte, le bras étendu pour gagner de l'espace ; elle promenait douce- ment sur mes lèvres un bouquet de cerises moins vermeilles que les siennes. Je la voyais toujours ainsi, blanche mais ani- mée, charmante de ses grâces et de son émotion d'enfant, arrêtant sur moi ses rondes prunelles d'un bleu transparent comme le cristal, qui plongeaient des regards de feu sur mes paupières demi-closes pour surprendre à propos le moment de