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82                            MUSIQUE.
  à toilettes; M. Mortier de Fontaine est un pianiste, tout court,
  sans adjectif, un musicien, que voulez-vous de plus? Il joue de
 la musique qui n'est ni arrangée, ni transposée, ni composée,
 spécialement, de la vraie musique ; il la joue comme elle doit être
 jouée, et chose qui étonnera peut-être, il joue si bien chaque
 pièce comme elle doit être jouée, sans prétendre embellir, com
 pléter, rajeunir et, mutiler les maîtres, qu'il vous les fait com-
 prendre sans effort, vous donne envie de les feuilleter, de les
 étudier, de vivre avec eux et de jeter enfin aux oubliettes toute
  la cohué d'arrangements, de fantaisies, de babioles incorrectes
 ou niaises, de grands morceaux prétentieux, pour revenir puiser
 aux sources intarissables de la vérité artistique. Manquent-elles
 donc ces œuvres de génie? Faut-il rester dans la pauvreté d'un
 répertoire monotone de quelques sonates célèbres et difficiles ?
 Mon Dieu non, le répertoire des bonnes choses est aussi varié,
  aussi nombreux que celui des mauvaises. Voilà bientôt trois siè-
  cles que les compositeurs (les vrais) en ont produit en tous
 genres, de gaies, de tristes, de badines, de solennelles, de faciles
 et de difficiles, depuis les bergeries de Couperin, de tant de grâce
 et de finesse, jusqu'aux élégantes et limpides sonates d'Haydn,
jusqu'aux élans passionnés de Mozart et de Beethoven, jusqu'aux
 excentricités de Schumann. La bonne musique n'est pas rare, il
 ne s'agit que de bien vouloir la chercher. M. Mortier de Fontaine,
 énergique, doux, précis, fougueux ou discret, selon l'esprit du
 compositeur, est ce que devraient être tous les pianistes familiers
 avec tous les maîtres qui ont travaillé pour son instrument; et si
 l'on veut absolument classer son jeu dans un rang défini, il faut
 oublier les noms qui étincellent derrière les vitrines des mar-
 chands, et dire qu'il joue du piano comme devaient en jouer ceux
 dont il exécute les ouvrages, comme ceux qui veulent commu-
 niquer une pensée et non surprendre par une exhibition de tours
 de force. Il n'y a que deux manières, la bonne et la mauvaise.
La bonne est celle qui transmet exactement l'idée et qui s'attache
non à la reproduction mécanique, mais à la reproduction intel-
ligente, sait faire parler la note qui interroge et celle qui répond
avec leurs accents spéciaux, et agit de telle sorte, que l'on ne