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DU CHEVALIER DE BOUFFLERS. 327 BOUFFLERS. Ta mémoire est des plus fidèles, marquis ; tu le trouveras dans mon secrétaire dont voici la clé. LA COMTESSE. N'oubliez pas que je dois être la première à con- templer le portrait. LE MARQUIS. Personne, madame, ne le verra avant vous, je vous le jure. (A part). Je vais donc enfin connaître la vérité. (Il sort.) SCÈNE III. La COMTESSE, BOUFFLERS. LA COMTESSE. Maintenant, chevalier, m'expliquerez-vous ?... BOUFFLERS (ouvre le carton et prend le portrait). Ce portrait, le voici, madame, soyez la première à le contempler ainsi que vous l'avez désiré et jugez par vous-même s'il est fidèle, si mon cœur a dirigé mon crayon. Voici bien ces traits si fins et si distingués, ce visage aux contours harmonieux , ces yeux surtout, ces yeux dont le regard doux et fier à la fois me subjugua dès qu'il m'eut été permis de les contempler une fois. LA COMTESSE. Ce sont bien là mes traits, en effet, mais singu- lièrement embellis par votre crayon. L'œuvre de l'artiste est ad- mirable et mérite des éloges, certes, fort exagérés s'ils s'adressent au modèle. BOUFFLERS. Comme nous voyons, madame, avec des yeux diffé- rents, ou plutôt comme votre modestie vous aveugle sur le compte de vos charmes ! Quant à moi, le portrait me semble mille fois au dessous du modèle. LA COMTESSE. Chevalier, vous me rendez vraiment confuse, que diriez-vous de plus à la personne que vous aimeriez ? BOUFFLERS. À la personne que j'aimerais ?... Mais, madame, ne vous ai-je pas dit mille fois depuis ce matin, et mes yeux , ma voix, mon être tout entier ne vous ont-ils pas répété sur tous les tons de la passion, de l'ivresse, du délire, que j'aime Aline, que je l'aimerai toujours. Je disais cela lorsque je croyais mon ado- rée une simple fille des champs , une paysanne belle, ingénue, charmante, mais une paysanne enfin, et maintenant que, comme dans les contes de fées, ma bachelette s'est transformée en une femme du monde plus gracieuse, plus éléganle, plus spirituelle « •