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 158                     EXPOSITION DE 1854-55.
  restées le privilège d'un petit nombre d'initiés, et celles de cette école ont
  conquis la foule. Sous ce rapport, le temps a donné raison à M. Delacroix
 contre M. Ingres. Il est certain que /es Å“uvres du premier et celles de ses
  élèves répondent mieux au goût général. Cette école a, d'ailleurs, sa part
 légitime d'influence. Elle représente à un très-haut degré un des éléments
 indispensables de la peinture. Ses excès mêmes qui n'ôtent rien à sa valeur
 réelle, n'ont e'té qu'une réaction contre d'autres excès. Sa manière de pro-
 céder, en lui permettant rarement d'aborder le champ de la grande pein-
 ture et surtout de la peinture monumentale, doit, par les raisons que nous
 avons énoncées plus haut, rendre plus populaire le choix de ses sujets.
 Enfin, elle domine aujourd'hui. C'est elle qui peuple les expositions, et c'est
  vraiment quelque chose d'inoui que le talent qu'elle dépense chaque jour
  dans des productions souvent sans portée morale. Malgré tout, cependant,
 1 es élèves n'ont pas été à la hauteur du maître , et M. Ingres et lui sont
 restés, aux deux pôles opposés, les deux étoiles les plus brillantes du ciel
  de l'art moderne. Il y a deux mois que l'on constatait, à cette même place, à
 propos de la musique, l'abaissement du niveau intellectuel en France. Il
 me semble que le caractère en est sensible aussi dans les arts plastiques.
 Les grandes renommées écloses dans cette féconde période de 1820 à 1830,
n'ont pas été remplacées. Il est, sans contredit, parmi les peintres tout à
fait contemporains, des talents brillants, mais à côté des deux artistes que
nous venons de citer, aucun d'eux n'élève ses prétentions au-delà du rôle
affecté à ce qu'on appelle les Dit minores. De même qu'en musique, les ré-
putations plus récentes de MM. Félicien David, Reber, Ambroise Thomas
ne luttent pas d'éclat avec les noms de Rossini, Bellini, Meycrbeer, ni avec
ceux de tous les grands compositeurs de l'Allemagne au commencement de
ce siècle ; de même, MM. Picou, Gleyre, Hamon, Gérôme, Couture, Hébert,
ces peintres agréables et faciles, ont laissé MM. Ingres et Delacroix isolés
sur les sommets où ils régnent. M. Hippolyte Flandrin lui-même, qui s'est
fait une place si belle entre toutes, et qui possède une physionomie parti-
culière, n'est que le Jules Romain du nouveau Raphaël. Quant à MM. Orsel
et Perrin, leur sens élevé et austère, leur conscience inébranlable, ne suffi-
raient pas à remplacer en eux le souffle inspirateur qui agite M. Ingres, si
ces hommes, éminents à tous égards, n'étaient d'ailleurs les contemporains
de cet artiste.
   Si nous pouvions suivre cette analogie au-delà du cadre tracé par notre
sujet, peut-être verrions-nous plus évidentes encore les traces de cette sorte
de décadence de l'esprit public. Pas un nom nouveau ne s'est produit ces
dernières années en littérature, et depuis MM. Chateaubriand, Lamartine
et Victor Hugo, quels héritiers se sont encore présentés pour recueillir leur