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                      LE COMTE DE CHALON.                            55
yeux semblent lancer des flammes. Un singulier craquement se
fait entendre à chacun de ses pas.
   Il s'avance à pas lents. La foule s'ouvre. Lui s'approche du
comte de Châlon, et, le prenant par le bras, le fait sortir de
table et l'entraîne avec lui.
   Qu'elle est cette puissance qui dompte le comte de Châlon et
qui domine les convives ? Guillaume suit cet inconnu , descend
avec lui l'escalier et s'avance au milieu de la cour. Un cheval
noir, gigantesque et immobile, les attend. Guillaume met le pied
à I'étrier ; il est en selle, et le chevalier se place derrière lui.
   L'inconnu brandit sa lance. Un tremblement de terre ébranle
la ville de Mâcon ; Guillaume, indomptable encore f saisit les
rênes du coursier, et dit : où allons-nous ?
   En enfer ! répond une voix, et cheval et cavaliers ont disparu.
Quand le jour se leva, on trouva Pierre le Vénérable en prière;
Sybille était évanouie ; les soldats du comte de Châlon fuyaient
épouvantés.
   Huit jours après, le fils du comte de Châlon, à pied et couvert
de cendres et de poussière, s'avançait humble et tremblant sur le
seuil de l'église de Cluny, et Pierre le Vénérable lui jetait sur les
épaules l'habit de moine de l'abbaye.
   Ainsi est puni le crime, même sur cette terre ; et [tendant que
le bras de Dieu s'appesantit sur le coupable, le poète, ministre
de sa justice, immortalise le criminel, et jette son nom flétri
à la postérité. »
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   Ainsi chanta le ménestrel, et quand son chant fut fini, les
loups hurlèrent autour de la maison du gardien. Le feu à moitié
éteint ne jetait plus dans la salle qu'une faible lueur, et les voisins
endormis reposaient près du foyer la tète sur leurs genoux.
   Seule, la jeune femme écoutait encore. Ses grands yeux ex-
primaient la crainte et l'intérêt ; elle s'approcha en souriant et
tendit la main au ménestrel.
                                                     A. V.