Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                         EXPOSITION DE 1 8 5 4 - 5 5 .                      15?
faut pas moins accepter ces conditions de son existence actuelle. L'Eglise
n'a plus de richesses ; l'Etat n'est plus Louis XIV ou François I « , ce n'est
plus qu'un riche particulier, et, il faut bien le dire, un particulier souvent
peu éclairé. Ce n'est pas son affaire d'avoir des convictions ni du discer-
nement, encore moins de diriger le mouvement artistique et de lui imprimer
de l'unité. Celui qu'on nomma le Grand Roi laissa Poussin , secouant la
poussière de ses souliers, s'exiler à Rome, et garda Lebrun. Le style guindé
et emphatique de l'un l'emporta sur l'austère grandeur de l'autre. N'exi-
geons pas des puissances modernes une intelligence supérieure â celle de
Louis XIV.
    Soyons équitables, cependant : c'est à la protection de l'Etat que nous
devons les quelques pages monumentales réalisées dans notre siècle. Sans
l'Etat, la France n'eut peut-être pas possédé la plus grande et la plus pure
gloire artistique de notre époque. Sans l'Etat, M. Ingres n'eut fait sans
doute ni l'apothéose d'Homère, ni celle de Napoléon-Ie-Graud, ni les car
tons des vitraux pour les chapelles royales, ni même la Jeanne d'Arc récem-
ment sortie de son pinceau. Sachons au moins être reconnaissants de ce
 qu'au milieu de celte multitude de travaux confiés à d'heureuses médio
 crités, il y a eu au Louvre un coin chétif abandonné à l'illustre maître.
 Ceux qui lui firent cette concession ne prévoyaient certainement pas l'im-
portance de ses résultats. Ils étaient loin de songer que l'artiste, appelé à
 retracer sur la toile cette assemblée d'immortels attentifs à la lyre harmo-
 nieuse d'Homère, y avait sa place marquée d'avance aux côtés de Phidias.
    Il est facile de comprendre d'après ce qui précède, que la grande pein-
 ture tienne une place si restreinte dans les expositions. C'est bien plutôt le
 contraire qui serait étonnant. Si une chose doit exciter la surprise, c'est
 qu'il ait encore été donné à notre temps de voir se produire quelques beaux
 exemples de peinture monumentale. Sous ce rapport, M. Ingres paraît être
 la vivante antithèse de notre siècle, et sa figure n'apparaîtra aux âges futurs
 que plus lumineuse par ce contraste. On aura alors de la peine à s'expliquer
 quelle vaillance de cœur, quel amour immense et désintéressé de l'éternelle
 beauté il a fallu pour ne jamais faire l'ombre d'une concession aux caprices
 dujouretdc la mode, pour ne sacrifier jamais àBaal etàMammon. La gran-
 deur du caractère, la conscience, ces choses si oubliées de nos jours que
 les nommer paraît presque une critique, ces choses existent dans la sphère
 de l'art comme dans celle de la morale, et, dans l'une comme dans l'autre,
 le courage, pour y rester fidèle, n'est pas moins grand.
   Aussi M. Ingres a-t-il formé peu de disciples ; son action ne s'est pas
étendue au-delà d'un certain rayon. Il a vu naître et grandir sous ses yeux
une école fondée sur des principes opposés aux siens. Ses doctrines sont