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               CHRONIQUE THEATRALE.


          L'Honneur et l'Argent, Philiberte, les Filles de marbre.

    Nous avons eu , aux Célcstins, un mois vraiment littéraire : l'Honneur cl
l'argent, de M. F. Ponsard, Philiberte , de M. E. Augier, et les Filles de
marbre, auxquelles les auteurs ont donné pour costume, au premier acte,
le péplum antique, un costume assez littéraire, comme vous voyez.
    Ab jove principium. Disons de suite que la pièce de M. Ponsard a réussi
à Lyon comme à Paris. Elle a réussi par ses belles qualités de style, par le
coté salyrique et moral qui est le vrai, le grand mérite de celte oeuvre.
Elle est tout-à-fait de la famille des hautes comédies classiques. Tout s'y rat-
tache -. l'austérité et la simplicité de l'action, la trempe et la couleur même
des caractères, la symétrie des effets, le dogmatisme raisonneur , la prédo-
minance des qualités éloquentes sur les qualités réputées plus spécialement
poétiques, la vigueur et la correction du langage ; il n'y a rien à lui compa-
rer, en ce temps-ci. h'Ecole des Vieillards , qu'on a voulu lui opposer, est,
certainement d'un ordre inférieur ; l'œuvre de M. Ponsard a de plus cet
avantage d'être parfaitement de son temps. Certes, le sujet n'est pas neuf en
lui-même, et de tous temps les poètes ont tonné contre la puissance de l'or,
à laquelle l'art, la famille, l'honneur ont toujours été subordonnés. Cepen-
dant M. Ponsard a su donner à ce sujet rebattu des couleurs tellement con-
temporaines que son œuvre est vivante et toute jeune ; en maint endroit,
l'allusion s'échappe en traits acérés ; l'invective a un but et frappe juste,
sans 'se perdre dans le vide, et le parterre d'applaudir, et le parterre a rai-
son, car une œuvre qui ne sort pas des entrailles de la réalité est une œuvre
morte d'avance ; une telle œuvre est la condamnation de toutes ces comé-
dies soi-disant anecdotiques, sans portée morale , où tout est sacrifié aux
ingénieuses combinaisons des péripéties.
     Le défaut de celte pièce, si défaut il y a, est peut-être précisément dans
 la manière un peu crue dont le thème est exposé ; il règne dans son ensem-
ble une certaine absence de nuances, de demi-teintes, de finesses. La co-
médie doit châtier, mais autrement que la satyre. Elle devient plus noble et
 plus haute à mesure qu'elle empiète davantage sur le domaine du moraliste ;
 il faut qu'elle explique les actes qu'elle entrechoque, et, pour y arriver, elle
 doit sonder les replis du cœur humain. Il est bien vrai que, dans la vie ordi-
 naire, l'on prise l'honneur moins que l'argent, mais extérieurement, en pa-
 roles, tout le monde se pique du contraire. Le poète n'a peut-être pas assez
 insisté sur ce désaccord entre les principes avoués et les actes qui n'y ré-
 pondent point ; la scène du quatrième acte, où l'on voit tous les créanciers
 que Georges a payés avec la fortune de sa mère, fuir à son approche , fera
 comprendre ma pensée ; cette scène frappe fort, mais est-elle bien juste ?
 n'y a-t-il pas aussi absence d'une certaine délicatesse dans la manière dont la
 pièce se dénoue ? Lucilc qui épouse Georges en présence de sa sœur, et
 Georges qui se hàle un peu d'aller de l'une à l'autre, me font involontaire-
 ment éprouver une impression désagréable. La pensée morale semble s'a-
 moindrir à la fin. Le héros perd son auréole , et quand il triomphe, l'in-
 térêt l'abandonne. Quoiqu'il en soit, et, malgré ces légères critiques qui
 naissent surtout du point où chacun se place, Y Honneur cl l'Argent est un
  des beaux succès dramatiques de ce temps ; et ce succès fait honneur