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262                        PÉLOPONÈSE.
paient de son bonnet de laine comme deux lames d'argent. Son œil
noir et perçant avait conservé toute sa force ; le nuage terne et
gris, qui obscurcit la vue des vieillards et présage leur dernier
instant, n'avait point envahi sa noire prunelle. Son visage était
long, austère et régulier ; sous une peau ridée et privée de
chair , sa charpente était restée pure et belle. Lorsque le feu se
ranimait et jetait dans l'obscurité de la salle ses rouges clartés,
il y avait quelque chose de fantastique dans le profil de cette
vieille femme qui se réfléchissait contre les murailles, démesu-
rément aggrandi et se coupant contre les angles. On eût dit la
dernière de ces antiques pythonisses qui trompaient les hommes
en rendant les perfides oracles de l'esprit du mensonge et du mal.
   J'attendais la nuit avec impatience, car le temps me paraissait
long. L'âme n'est jamais plus triste et plus mal à l'aise qu'au
moment de ces haltes forcées dans un voyage ; le découragement
s'empare d'elle, et de sombres idées la tourmentent ; la curiosité
des choses nouvelles et l'enthousiasme des spectacles de la na-
ture ne sont plus là pour la soutenir ; le cœur s'attriste et se re-
plie sur lui-même à la vue de ces nuages qui versent une froide
pluie et semblent cacher pour toujours le ciel bleu et le soleil.
Enfin, la nuit arriva ; quand le repas du soir fut fini, la grand'
mère fit un long signe de croix et laissa tomber sa tête en arrière
contre la muraille, comme pour dormir. Je crus qu'elle était
morte ; mais ce n'était autre chose que le signal du repos de la
famille. Chacun alors prit sa place autour du foyer, hommes,
femmes et enfants , côte à côte, l'un près de l'autre. Ils s'age-
nouillèrent pour prier et se tournèrent d'abord vers le soleil
levant, ensuite vers le soleil couchant, en faisant des signes de
croix sans nombre et s'inclinant tour à tour jusqu'à terre et se
relevant. Cette manière de prier, qui appartient à la religion
turque comme à la religion grecque, semble tenir aux antiques
mœurs orientales ; elle a quelque chose de solennel en même
temps que de superstitieux ; elle semble confondre l'idée de Dieu
avec la plus large et la plus splendide manifestation de son être,
la lumière, qui dispense aux hommes et à la nature la vie, la
force et la beauté.