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ÉLOGE DE LOUIS-GABRIEL SUCHET. 201 comme les nobles cœurs, il mettait sa gloire , non point dans la vengeance , mais dans^ la générosité. Les représailles contre un peuple ou contre un homme vaincu, lui parais- saient ce qu'elles sont , une perversité du succès. Il avait pour mobiles , non pas le pouvoir ni la renommée , mais la vertu et la patrie. D'autres généraux ont pu l'égaler dans l'art terrible des combats, dans la science de faire du mal aux peuples , sous prétexte qu'ils sont ennemis : nul ne l'a surpassé dans la science plus rare de faire du bien. Il accom- plissait en guerrier un ministère de rigueur ; mais quand il voyait les ennemis privés des ressources qui pouvaient ou les défendre, ou soutenir leur existence , aussitôt le guerrier faisait place à l'homme, et son âme était remplie d'une pro- fonde pitié. Les vaincus, dans lesquels Suchet avait cessé de voir des ennemis, recevaient de lui tous les secours que ré- clamait leur infortune , et le témoignage public de leur reconnaissance dut être, pour son cœur généreux et magna- nime, une récompense plus douce que la victoire. La pitié chez lui allait jusqu'à le désarmer. Il se croyait alors et se trouvait en effet plus heureux de sauver sa victime suppliante que de l'immoler à sa colère. Voyez-le, considérant ce peuple infortuné de Tarragone et de Sagonte qu'il vient d'écraser sous les ruines de leurs villes , il frémit de sa gloire ; la vic- toire lui inspire aussitôt la miséricorde et la justice ; celte partie de sa vie guerrière , où il sut joindre de grands bien- faits à de grandes victoires, et poursuivre au milieu de tant de dangers et d'obstacles un système tutélaire et conciliateur, est une leçon qui s'adresse à tous ceux qui seront appelés a gouverner môme dans la paix. Suchel voulait ressembler à l'antiquité , non par des ravages , mais par des vertus. C'était un Romain que la France semblait avoir dérobé aux plus heureux temps de la République , car il en eut le caractère ; il respectait l'huma-