Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
446                      LA R E V U E LYONNAISE
      rao
    M de Sévigné écrivait un jour :« Je trouve des âmes plus droites que les
lignes, aimant la vertu comme naturellement les chevaux trottent. » Ce mot que
M. Rousse rappelle dans sa préface aux plaidoyers de Chaix-d'Est-Ange, dont il
fut le secrétaire, ne saurait mieux s'appliquer qu'à lui-même. On peut dire de
lui ce qu'il disait en même temps des avocats : « Placés au milieu même des idées,
des passions et des affaires de leur siècle, pénétrés de tous les souffles qui l'agitent,
ils ont gardé dans leurs traditions, dans les règles sévères qu'ils observent, aussi
bien que dans les plis de leurs antiques robes noires, l'empreinte vivante du passé.
Je ne crois pas que nulle part, en France, on trouve un type mieux conservé de
la vieille bourgeoisie dont ils sont les enfants et dont ils ont retenu, comme un
air de famille, les qualités généreuses et les incommodes défauts. » Supprimez ces
« défauts incommodes » et, après avoir lu les deux volumes de M. Rousse, vous
avouerez qu'il est difficile de faire de soi-même une image plus ressemblante. Un
trait néanmoins y manque : qu'on nous permette de la compléter. « Je ne suis,
dit-il modestement ailleurs, en tête de ses Souvenirs du siège de Paris, ni un
héros, ni un penseur, mais un bourgeois d'esprit moyen et d'âme ordinaire. »
 C'est, en effet, une âme tout unie que celle dont l'honnêteté native n'a jamais
connu les secrets détours, ni les expédients qui mènent à une rapide célébrité;
c'est peut-être une vertu démodée qu'une indépendance rétive qui ne relève en
rien de la fortune, un désintéressement naïf que nul éclat ne peut corrompre et
qu'aucune déception ne parvient à rebuter ; c'est, sans doute aux yeux de la gé-
nération moderne, une vieille tradition bourgeoise que cette défiance des émotions
artificielles et surfaites, des agitations stériles, ce dédain de l'emphase théâtrale et
de la molle abondance, du vague enchantement des phrases sonores qui accom-
pagnent la pensée, sauf à la remplacer trop souvent: c'est même, paraît-il, la
marque d'un esprit moyen, en tout cas timoré, que le souci de dissimuler les élans
d'un cœur tendre et d'une imagination ardente sous la froide correction d'une
douceur uniforme et d'une constante urbanité. Ame ordinaire, soit, parce qu'elle
n'a rien de rêveur, d'exalté, de paradoxal, ni d'errant: mais âme singulièrement
forte et honnête,ferme et modérée à la fois, qui ne se voile et ne se replie sur elle -
même que pour s'élever plus haut et pour serrer de plus près les immortelles
splendeurs du beau, du vrai, du juste! Ouvrez, par exemple, ses Souvenirs du
Siège, cette longue correspondance sans réponse entretenue pendant le grand
hiver avec un ami séparé par les lignes ennemies, ce « monologue distrait et diffus »
comme il l'appelle, qui trompait en 1870 l'inactivité de ses journées, et qui, en
lui faisant rêver de loin au jour de la délivrance, lui donnait, dans Paris captif,
l'illusion de la liberté ; lisez ne journal intime, non avec indulgence, ainsi que
l'auteur le demande, mais avec sévérité, et dites si l'âme meurtrie d'un Français
peut pousser des cris plus vibrants, dans leur simplicité même, de patriotisme, de
douleur et d'espérance, si ces feuillets couverts à la hâte, d'heure en heure, de ré-
flexions entrecoupées, peuvent porter, avec la trace de nos découragements et de
nos soudains espoirs, de nos songes et de nos stupeurs, de nos colères et de nos
désillusions, la signature plus vigoureuse d'un citoyen épris de la patrie jusqu'à
l'entière immolation de ses préférences politiques et jusqu'au saint héroïsme du
sacrifice ? Dans le recueil formé par M. F. Worms, il y a des pages plus litté-
raires, des portraits plus finis, des bas-reliefs plus délicatement et plus artiste-
ment ciselés; citons seulement la notice surCh. Sappey, l'éloge de Jules Favre,
l'analyse des travaux de M. Gh, Lévesque et le médaillon de M. de Montyon, tous