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512                      LA REVUE LYONNAISE
   Je hantais le collège alors, le collège de Tulle, ma ville natale ; e*
comme on ne me savait étranger à rien de mon humble patrie, plus
d'un concitoyen de marque me laissait l'aborder et l'entretenir.
Or, je fus présenté à Jean Rozier, un dimanche, sur le Chemin-
Neuf du Trech. Luis'en retournait au Mas-Mazel, sans se presser,
et seul, si un poète va jamais seul, la muse, compagne invisible,
faisait route aveclui. Jean Rozier me rendit gracieusement le salut,
et nous eûmes bientôt fait connaissance, en dépit de nos âges diffé-
rents : il était peut-être sexagénaire. Il nous dit ses goûts, ses
habitudes, ses travaux, ses travaux poétiques surtout. Nous apprîmes
ainsi qu'il lisait assidûment la Bible... et Delille. Oui, Jacques
Delille, le traducteur des Gèorgiques. Lui, l'homme des champs,
l'enâleur de rimes, dévorait les hémistiches de l'académicien, peut-
être bien sans les comprendre. En vérité, il ne pouvait avoir la
main plus malheureuse. « Il pensa me gâter », a dit Lafontaine,
parlant de Malherbe. Delille gâta bel et bien Jean Rozier, le tirant
de sa voie naturelle pour le faire patauger en pleine littérature
savante. Et moi, soucieux en même temps de ne pas mentir et de ne
pas froisser, j'osai lui dire, avec force ménagements : « La langue
française n'est plus une gueuse fière à qui il faut faire l'aumône
malgré « elle » ; elle nage aujourd'hui dans une abondance, si vous
le voulez stérile, mais qui n'a que faire d'appoints tardifs... Et puis
l'ayant apprise peu ou prou, n'espérez pas trouver grâce devant
vos lecteurs. Ecrivain français, tout combattra contre vous. Laissez
Delille, prenez Jasmin... » Jean Rozier m'écouta en patience, et
puis secoua la tête avec un sourire que j'eus lieu d'interpréter ainsi :
« Trop tard ! »
   En effet, peu de jours après, parut (chez Détournelle, Tulle,
1852), » Éloge deV Agriculture, des animaux et des arbres plus
utiles à la société, par Jean Rozier, agronome et mécanicien, du
Mamuzel, ' commune de Tulle. ». Une plaquette de trente-deux
pages, envers, sauf, à la fin, une postface de vingt-six lignes en
prose, intitulée: « Discours honorifique des paysans. »

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    « Mamuzel » (Sic.) Jean Rozier devait écrire et prononcer « Mas-Mazel » : (Ma-
mazel ) Maison de boucherie, maison ou plulùt ferme des animaux destinés à la bou-
cherie.