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                                    FELIBRIGE                                     99

   Lundi donc, dans la nouvelle Salle des Félibres, au café Voltaire, les majo-
raux présents: Maurice Faare, Marius Girard, Achille Mir, le baron de Tour-
toulon et Frédéric Mistral, capoulié (chef; par étymologie : celui qui donne le
mouvement aux faucheurs), s'étant adjoint le président des félibres de Paris et
Paul Mariéton, secrétaire, élurent les nouveaux membres du corps consistorial
constitué par les cinquante majoraux du félibrige.
   Ces privilégiés sont : Paul Arène, pour son dévouement admirable à la cause
depuis vingt ans, le frère Savinian d'Arles pour sa méthode d'enseignement du
français par le provençal, Roch Grivel de Grest (Drôme), pour sa persévérance
de quarante années à faire représenter ses pièces dauphinoises toujours très goû-
tées par le peuple, et enfin, le vicomte Gh. de Garbonières de Lavaur, pour son
 œuvre auxiliatrice -en Aquitaine. Ils remplacent les majoraux décédés : Ernest
Roussel, Aug. Yerdot, Jean Gaidan et Paul Barbe, démissionnaire.
   On me pardonnera mes brèves énumérations. Tout ceci est presque de l'his-
toire : je me hâte d'enregistrer les faits, n'étant pas assez à distance pour bien
juger des proportions.
   Je voudrais pouvoir raconter longuement cette fête de Corot du mardi 27 mai,
organisée par Alphonse Lemerre, qui a été l'exquise apothéose des félibres, plus
à l'aise dans un cadre intime, idyllique et grec, comme à Ville d'Avray ce jour-
là, que dans les solennités retentissantes.
   La journée était radieuse. Après un déjeuner de poètes, chez Alphonse Le-
merre qui réunissait F. Goppée, A. Lemoyne, P. Arène, Philippe Burty, Mistral,
Paul Mariéton, etc., on se rendit au pied du monument de Corot qui regarde le
lac, précédés de l'orchestre de Sivry, inopinément survenu pour renouveler, à
l'occasion du patron de Ville d'Avray, la fête du dimanche ; et jusqu'au soir, ce
 public délicat de peintres et d'artistes qui vient chaque année fêter le Père Corot
se laissa bercer parles farandoles, les chansons et les vers. On entendit une exquise
allocution de Philippe Barty, une causerie de Paul Arène, et de charmantes
poésies dites par Mistral, François Coppée, Auguste Marin et Paul Mariéton.
   Le vieux bonhomme en blouse devait être content ! Ses étangs de Ville
d'Avray retentissaient de nos chansons. Poète de la nature, lui aussi, comme
 Mistral et Pierre Dupont, il n'avait à sa fête rien de l'artificiel des réunions vul-
 gaires.
   Le soir enfin, un grand banquet de deux cents couverts, enco de l'oste Cabas-
sud, prouvençau, auquel assistait la plupart des grands artistes de Paris clôtu-
 rait joyeusement la fête.



                                          V

   C'est au dîner de la Cigale que Mistral fit la dernière étape de sa dernière
 campagne félibréenne, le 5 juin. Il ne trouva rien de mieux, ce modeste héros,
 pour remercier Paris de son accueil ému et charmant, que de jeter toute fleurie
 sa dernière couronne aux pieds d'un autre grand poète qui survenait provi-
 dentiellement à Paris, pour la première fois, le catalan Jacinto Verdaguer. Et
 ce fut un beau spectacle que d e v o i r , que d'entendre Mistral raconter à cette
 assemblée, l'admirable Atlantide, l'épopée sans égale de la littérature espa-
 gnole, première œuvre du modeste prêtre qu'il présentait à Paris ce soir-là.




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