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      LA MORALE DANS LES FABLES DE LA F O N T A I N E                 367

   On comprend à merveille les scrupules du philosophe. Il n'admet
pas, lui, qu'on parle à un enfant de morale religieuse. S'il.est
vrai qu'il faille chercher dans la vie la récompense de la vertu, et
la punition du mal, le seul moyen d'engager l'enfant à être vertueux
c'est de lui laisser croire le plus longtemps possible qu'il sera traité
par les hommes suivant son mérite. Il est tout simple alors que
l'on enseigne par le mensonge une morale mensongère et que l'on
trouve mauvaises les fables où le dénoûment n'est pas toujours
conforme à la raison.
   Mais si l'éducation de l'enfant est ce qu'elle doit être, c'est- à-dire
chrétienne, s'il connaît les commandements de Dieu avant d'ap-
prendre les fables, il saura que Dieu défend et punit le mal, ordonne
et récompense le bien. Instruit décela, il peut avec moins de péril
entendre Ie3 tristes vérités de la vie, assister aux spectacles des
calculs égoïstes, des succès de la ruse ou de la force.
   Une attaque très violente contre la réputation de La Fontaine
s'est produite presque de nos jours. Lamartine en fut l'auteur. Le
grand poète moderne parlant des premiers livres qu'on lui donnait
à lire dans son enfance, raconte qu'il ne put jamais apprendre par
cœur les fables de La Fontaine, qu'elles lui paraissaient puériles,
fausses et cruelles. Il n'en goûtait ni le fond, ni la forme, ni la
morale. « Ces vers boiteux, disait-il, disloqués, inégaux, sans sy-
métrie ni dans l'oreille, ni sur la page me rebutaient. D'ailleurs
ces histoires d'animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se
moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares,
sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le
cœur. Les Fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure,
froide, égoïste d'un vieillard que la philosophie aimante, généreuse,
naïve et bonne d'un enfant. » Une critique si dure perd de sa
valeur par son exagération. Accuser La Fontaine d'avoir méconnu
le sentiment de l'amitié c'est oublier qu'il a écrit un chef-d'œuvre :
la fable des Deux amis.
   Mais pourquoi cet emportement contre le petit côté d'une grande
Å“uvre ? Pourquoi cette indignation un peu hors de propos contre
un grand poète qu'il serait de bon goût de ne pas prendre trop au
sérieux comme moraliste?
   Sainte-Beuve conseille de ne voir dans cette critique de Lamar-
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