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382 LA REVUE LYONNAISE C'est là de la morale utilitaire, qu'on appelle aussi positiviste. La Fontaine serait bien surpris, s'il eut pu connaître ce juge- ment que l'on porte de lui. Sa morale, s'il en a une, n'est pas rele- vée, c'est vrai ; mais du moins il ne l'a pas inventée et nul ne peut le réclamer pour un ancêtre. Cette prétendue morale de La Fontaine n'est pas l'aurore d'une philosophie nouvelle, mais le déclin d'un ancien système vieux de dix-sept siècles, un débris qu'il a ramassé, sans y prendre garde, dans ses modèles du monde païen ! Du reste sa faute, s'il est coupable, est si peu raisonnée, qu'il s'inflige à lui-même plus d'un démenti. Bien loin de mécon- naître la Providence, il a consacré de beaux vers à décrire son action dans le monde. Dans la fable Jupiter et le Métayer, il conclut : Que la Providence Sait ce qu'il nous faut mieux que nous Ailleurs il pose en principe que : Dieu fait bien ce qu'il fait, et il le démontre par l'aventure si comique du Gland et de la Citrouille. Enfin la fable de L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits, contient toute une profession de foi et une rude leçon à l'adresse des esprits forts du temps. Les pièces de la valeur de celle-ci, assez rares dans le recueil, permettent d'observer un côté peu connu du talent de La Fontaine, par lequel il est vraiment créateur et poète. Dans ses fables pro- prement dites, il est déjà lui-même par l'originalité des récits, mais pour la moralité, il se traîne à la remorque de modèles indignes de lui. Dans quelques pièces comme cette dernière, qui n'ont de la fable que le nom, où le récit disparaît presque avec la moralité, La Fontaine ne craint pas d'aborder les théories abstraites, les idées générales. Il y expose ses vues sur certains points de philosophie, par exemple sur la question de l'âme des bêtes, mise à l'ordre du jour par le système de Descartes qui ne voulait voir dans les ani- maux que de pures machines. Dans son Discours à Mmo de la Sablière, La Fontaine traite la question avec beaucoup de sens et