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106 LA REVUE LYONNAISE rendre nécessaire et de se faire contraindre à l'accepter par ceux-là même sur lesquels depuis dix ans il aspire à régner. Il a lentement, péniblement tissé sa toile, il en a chaque jour enlacé les fils ténus, en restant comme blotti dans la retraite active d'où il peut guetter sa proie : elle vient enfin se livrer à lui ; ne doutez pas que son bras ne s'y cramponne et ne la « maintienne ». Mais jusque- là , comme il dissimule, comme il ruse, comme il redoute de s'engager trop avant et de n'être plus à portée de se dérober ! S'il tient la campagne, c'est qu'il ne commettra jamais l'imprudence de s'enfermer dans une ville, où les Espagnols pourraient le surprendre ; et quoique chef avoué des Réformés dans les Pays-Bas depuis 1565, il ne se déclare calviniste qu'au jour du triomphe, en 1573, quand le duc d'Albe, humilié, vaincu et disgracié, abandonne à Requesens la lourde tâché de pacifier les provinces révoltées, bien mieux, quand il devient indispen- sable, pour conserver les positions acquises, de se ménager l'appui des Huguenots français. Deux ans après, dans le même but, il fait « emmurer » sa première femme Anne de Saxe, répudiée pour ses déportements, et épouse Charlotte de Montpensier, une abbesse défroquée, dont la vertu avait depuis longtemps rejoint le froc sur les carrefours de l'Europe. Il est temps de s'arrêter. Aussi bien M. Kervyn de Lettenhove n'a pas ter- miné le portrait de Guillaume de Nassau, puisque son troisième volume s'arrête en mars 1576. Nous le retrouverons dans le suivant et nous pourrons ajouter à cette esquisse incomplète. Mais, dès aujourd'hui, l'on peut dire que le savant belge a enrichi la biographie historique, tout en décrivant les événements de la mémo- rable lutte des Gueux contre la puissance espagnole et qu'il ne sera désormais plus permis d'étudier la figure du Taciturne sans recourir aux documents dont il vient de faire un si habile et saisissant usage. H E N R I BEAUNE. BIBLIOTHÈQUE DE L'ART ET DE LA CURIOSITÉ. — DICTIONNAIRE DES AMATEURS FRANÇAIS AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE, par M. EDMOND BONNAFFÉ. Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1884, 1 vol. in-8, 353 p. Déjà , nous avons eu la satisfaction de rendre compte, dans cette Revue, des in- cessants travaux de M. Edmond Bonnaffé sur les curieux de toutes les époques, et dit tout ce qu'ils offraient d'intéressant pour l'histore de l'art en général. Aujourd'hui, cet intrépide pionnier reparaît sur la scène du monde savant avec un nouveau livre d'un mérite aussi réel que celui de ses précédentes œuvres. Ce livre est consacré tout entier aux amateurs français du dix septième siècle, c'est- à -dire à ces nombreux amis des arts qui, à cette grande époque, se sont attachés pieusement, en prévoyance des mauvais jours, à recueillir et à emmagasiner tout ee qu'ils ontpu sauver, tableaux, livres, statues, estampes, dessins, émaux, médailles, monuments vermoulus ou inutiles, poussière auguste du passé. Mais qui se souvenait d'eux? l'oubli le plus complet s'était même fait sur la plupart et cependant comme le dit avec raison, M. Bonnaffé, c'est la patiente cueil- lette de tous ces curieux utiles, et pourtant si souvent bafoués et tournés en ridicule par leurs contemporains, qui a fait la récolte de nos Musées; c'est leur épargne qui assure à nos écoles le pain quotidien, la tradition, des modèles, un enseignement; cet enseignement même serait-il possible? La sève créatrice