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                                   FELIBRIGE                                     441

 trésors des arts, ni de somptueux édifices, ni la foule, ni le bruit. Ces noms, on
 en trouve sur les mers, comme dans les terres. Une rade paisible où la vague
 déferle mollement sur le sable, où se reflète la voile blanche de quelque bateau
 pêcheur. Des bois, des prairies, des vignes, des champs labourés que le bouvisr
 traverse en chantant son refrain monotone. — La solitude calme, solennelle —
 au loin le clocher d'une petite ville, ou quelque hameau, dont les fumée3
 montent autour de l'église.
    « Voilà tout !
    « Ces grâces ou ces beautés agrestes ne vousdisent rien ; et cependant, qu'au
 plus froid, au plus ignorant des hommes, on nomme Trafalgar, Aboukir, ou La
 Hogue, ou Lépante, — qu'on lui dise ReichofFen, Marengo, W a g r a m , Austerlitz,
 Friedland, Fontenay, Rocroi ou Nerwinde, Arques ou Ivry, Bouvines... ces
 déserts prennent vie, ils parlent au cœur avec une poignante éloquence.
    « C'est que l'ambition des conquérants, les compétitions nationales, les luîtes
 de race à race, ont fait là s'entrechoquer des hommes. Là des journées de luttes
 ont montré de part et d'autre la furie de l'attaque, l'énergie de la défense, des
 vaisseaux se sont engloutis dans ces flots ; ces sillons que déchire la charrue du
  laboureur patient et que fécondent ses sueurs, furent jadis fertilisés par des
 hécatombes d'hommes et des flots de sang.
     « Muret, cette ville si gracieuse, si coquette, si riante, si hospitalière, porte
 un de ces noms fameux. Il fut un temps où elle n'était pas ouverte à tout
  venant; alors elle était serrée dans des remparts, défendue par des tours, ceinte
 de fossés, fermée de portes épaisses. Dans cette riche plaine, sur ce sol où tout
 porte l'empreinte de la civilisation moderne, où poudroient les routes, où les
 trains ébranlent la terre sous leur poids, où la plus intelligente culture ne laisse
 pas un pouce de terre improductif, il y eut jadis des marais, des ravins, des
 landes stériles, tout ce qui constitue un emplacement propice pour un champ do
 bataille, — et ces lieux furent témoins d'un des chocs les plus retentissants de
nos annales, d'une de ces actions solennelles et décisives qui bouleversent un
 monde. Ici s'écroula une civilisation glorieuse et brillante, ici fut la première
étape d'une puissante race sur la voie du déclin, ici s'ébauchèrent l'unité reli-
gieuse qui fit la France très chrétienne, et l'unité nationale qui élargit les do-
maines royaux jusqu'aux Pyrénées et constitua le grand pays que nous aimons.
    « En sorte que dans ces lieux tragiques et célèbres, nous autres hommes du
Midi, nous sentons notre cœur partagé entre notre culte, juste et pieux pour nos
pères, qui luttèrent pendant plus de vingt ans pour leur indépendance, et notre
soumission à la volonté providentielle qui devait, avec les siècles, faire de nos
vainqueurs nos frères. Nous sommes saisis et émus, à Muret, en présence de la
tombe de notre nationalité passée, et du berceau de notre nationalité future.
    « La bataille de Muret fut un des plus grands faits du moyen âge. L'agoni;
d'un peuple a des convulsions formidables. La défaite du Midi ne mit pas fin à la
lutte, Muret e'tait le boulevard de Toulouse, le poste avancé. Muret tombé, Tou-
louse succomba. Mais il faut du temps pour que le pied du conquérant ne glisse
pas sur le sol envahi, un peuple énergique et fort prend un jour ou l'autre sa
revanche. Celle de nos pères fut prompte et terrible, et quand, à son tour, devant
les remparts de Toulouse, le grand et redoutable capitaine, le politique astucieux
et sans scrupules qui avait cru dompter notre peuple, mourut écrasé par une
pierre lancée d'une main inconnue, la conquête défaillit entre les mains débiles
       OCTOBRE 1884. — T. VII                                             28