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3Î8 LA REVUE LYONNAISE obligez tout le monde, ne vous moquez pas des malheureux. Mais c'est parleurs mobiles qu'ils ne valent rien. Ils retardent de dix-sept siècles sur la nouvelle loi qui ne dit pas : Faites du bien à ceux de qui vous en attendez ; Mais : Donnez sans compter, rendez le bien pour le mal ! Avec sa morale purement humaine, le fabuliste est parfois em- barrassé pour censurer certains vices qui ne font de mal à personne. Si la mesure du bien est l'intérêt de l'humanité, ce qui ne nuit à personne ne peut pas être mal. Mais alors comment s'y prendre pour blâmer, par exemple, l'amour exagéré des richesses ? L'avare trouve sa satisfaction dans la possession de l'or dont il ne se sert pas. Cette possession lui est utile à lui-même puisqu'elle le satis- fait. Pourvu qu'elle ne nuise à personne, je ne sais trop ce que l'on peut y reprendre. La Fontaine a cependant censuré l'avarice. Un passant s'adresse à l'avare qui se lamente d'avoir perdu son trésor : Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent, Mettez une pierre à la place Il vous rendra tout autant. Il me semble que la leçon ne porte pas. Car, pour l'avare, jouir c'est posséder, et une pierre ne remplace pas son trésor volé. En outre de la part d'un moraliste utilitaire la leçon est injuste. Pourquoi blâmer chez l'avare une passion qui lui est utile, puis- qu'elle le satisfait, si du reste elle est indifférente à tout autre? Afin de justifier la moralité de sa fable, l'auteur confond deux choses bien différentes : « L'usage, dit-il, fait la possession. » C'est là qu'est son erreur. La preuve que l'un n'est pas l'autre, c'est que l'avare ne les confond pas. C'est à lui que La Fontaine fait dire ailleurs : «.. Jouir, c'est se voler soi-même ». La leçon serait mieux fondée sur la volonté supérieure qui or- donne que l'on use des biens suivant leur destination. Ainsi le veut . la vraie morale. La vraie morale condamne aussi l'ingratitude. Mais ce vice n'est pas de ceux que Dieu punit en ce monde. Aussi pour le fabuliste, qui n'aimait pas les ingrats et qui ne le fut jamais lui-même, le châ- timent humain de l'ingratitude n'est qu'une chimère : « Quant aux