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368                   LA REVUE LYONNAISE

tine que ce qui y est en effet ; moins l'erreur d'un jugement réflé-
chi que la conséquence d'une antipathie de nature et de genre. La
Fontaine est le poète français par excellence, successeur des
vieux conteurs du moyen âge dont il a la bonhomie et le franc
rire, le naturel simple, sans apprêt, plein de grâce et de vérité.
Par opposition, Lamartine est le créateur chez nous d'un genre
mieux adapté aux besoins de l'époque où il parut qu'au génie tra-
ditionnel de notre race, du genre élevé, romanesque, sentimental.
Ses accents merveilleux remuaient dans les âmes, il y a un demi-
siècle, les sentiments métaphysiques engourdis au lendemain de
l'impiété révolutionnaire. Sa muse planait dans une région surhu-
maine. Elle jugeait de bien haut le monde inférieur et bas, rempant
sur terre, sans noblesse, un peu matérialiste, qui s'agite dans les
fables de La Fontaine.
   Lamartine voyait les choses avec son imagination, comme il les
rêvait. Il croyait à une humanité aimante, généreuse et naïve. Le pire
est qu'il faisait avec cela non seulement de la poésie, mais aussi,
hélas! de la politique. La Fontaine qui avait observé les choses de
plus près les voyait comme elles sont. Le monde lui paraissait
plein de faussetés, de calculs, de petitesses. Il le montrait tel quel.
   Chose étrange. Chacun eut une destinée bien peu d'accord avec
sa philosophie. Celui qui croyait à la générosité des hommes, souf-
frit cruellement de leur abandon ; il mourut dans l'oubli qui suc-
céda à une enivrante popularité. Celui au contraire qui les avait
montrés durs et avares vit ses derniers jours consolés par l'amitié
la plus délicate et la plus désintéressée.
   Ces leçons que la Providence ne ménage pas aux plus grands
génies rappellent, si nous pouvions l'oublier, qu'ils sont des
hommes, après tout, que leurs jugements ne sont point exempts
d'erreur et doivent être rejetés, s'ils paraissent dictés par d'autres v
préoccupations que celle de la vérité et de la justice.
    Laissons donc de côté ces critiques extrêmes qui manquent de
mesure, et demandons à une opinion plus raisonnable ce que vaut
la morale des fables de La Fontaine.
    Si l'ou veut rester dans la vérité des choses et conserver aux
mots lé sens qui leur appartient, on peut dire que la question est
mal posée.