page suivante »
314 LA RKVUB LYONNAISE latin, la tète allemande. . L'idéal d'Astrée et de Corinne n'est guère d'aucun monde ; l'idéal de Sapho est bien de notre terre et de notre temps, hélas! L'argument, d'abord ; puis, notre appréciation. Jean Gaussin d'Armandy prépare, à Paris, son examen pour les consulats. Après trois ou quatre ans, « il s'en ira quelque part, bien loin ». « Dans ce grand garçon poussé loin de Paris, en pleine garri- gue provençale, il y avait un peu de la rudesse paternelle, et toutes les délicatesses, toutes les nervosités de sa mère à laquelle il res- semblait comme un portrait... » Malheureusement ces nervosités ne sont point des énergies ni ces délicatesses des scrupules ; et Jean Gaussin se laisse prendre à un amour honteux. C'est Fanny Legrand qui l'épie, l'assaille, l'enlace, l'étreint, le possède et le domine. Car elle, la fille de plaisir, c'est elle l'homme ! L'autre, le jouvenceau, est sa chose. Il est à elle, bon gré malgré, par droit de prostitution. Parfois le fils de famille qui se ressouvient de son père, de sa mère, de sa belle-soeur Divonne (jamais de son Dieu !), le fils de famille sent parfois « quelque chose de violent et de malsain se dé- gager » de cet amour; mais « l'occasion, l'herbe tendre . . . » et, plus que tout, l'habitude, l'impérieuse habitude captivent chaque jour davantage son orgueilleuse faiblesse. Jean Gaussin tombe malade, malade d'une angine. Fanny le soi- gne seule. Guéri, il se croit quitte. Erreur! Plus de liberté ni d'indépen- dance. L'esclavage à deux ! Aussi bien Fanny lui avoue qu'elle est maintenant sans feu ni lieu, sa maison se trouvant vendue et dispersée... « Si je la renvoie, pense le jeune homme, elle sera dans la rue... » et Sapho demeure. Car Sapho c'est cette Fanny. Le sculpteur Caoudal l'a ainsi appelée pour lui avoir servi de modèle, lorsqu'il travaillait à une statue devenue célèbre, de l'amante de Phaon. Et elle n'a pas hanté que Caoudal. L'ingénieur Déchelette, le poète La Gournerie, le romancier Dejoie, Ozano, l'ont « connue » tour à tour. Même un graveur, Le Flamant, s'est fait faussaire pour elle ;