Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                BALAZUC ET PONS DE BALAZUC                          169
puissent être. Tous, ils nous font, connaître avec plus ou moins
d'étendue les événements généraux de la Croisade, mais Raymond,
en racontant les mêmes faits, et quelquefois d'autres par eux ignorés,
les relève par une candeur, une simplicité, une bonne foi, qui
donne à son œuvre un caractère particulièrement attrayant. ,
   Raymond n'ambitionne ni ne mérite le titre d'historien ; il n'est
pas un de ces érudits compilateurs qui racontent du fond de leur
cabinet les événements, avec la préoccupation de ne négliger ni une
date ni un fait; il n'est pas non plus un de ces penseurs, de ces
observateurs qui traitent et décident dans leur livre des grands
intérêts politiques, des affaires d'Etat; c'est un conteur qui dit sim-
plement ce qu'il a vu ou ce qu'on lui a rapporté. Tout naturelle-
ment, il saisit la vie sur le vif; son récit s'anime des impressions
qu'il ressent en prenant part aux événements qu'il raconte. Il n'énu-
mère pas seulement des faits, il les accompagne de la peinture de
l'état moral qui les a amenés, suivis, et qui bien souvent les ex-
plique. C'est, là, une note personnelle qui manque aux autres histo-
riens, ses contemporains.
   Le monde nouveau, merveilleux, dans lequel sont transportés les
Croisés, agit puissamment sur leur imagination et sur leurs sens :
il en résulte un état psychologique étrange que constate Raymond.
Les innombrables visions, les pressentiments, les miracles qui se
produisent sont, pour le chanoine du Puy, événements fort impor-
tants. Il les raconte avec une fidélité scrupuleuse, sans parti pris
ni passion. Il raconte, parce que c'est la vérité, parce que cela éta-
blit la puissance de Dieu. Il ne cherche pas à prouver; ce n'est pas
à un analyste que l'on a affaire, c'est à un croyant qui fait passer
dans ce qu'il écrit la foi qui l'anime. Mais cette foi, il prend soin de
l'entourer de toutes sortes de preuves, ou de ce qu'il croit être des
preuves, car sa sincérité est au-dessus de tout. Il n'affirme rien
qu'il ne l'ait vu. « Et moi qui ai écrit ces choses, lorsque la pointe
de la lance apparaissait, je l'ai embrassée. » Il aime à, s'entourer de
témoignages : « Ébrard a vu ce prodige, Guillaume, fils de Bon
d'Arles et un autre Guillaume l'ont vu. » Mais quand il n'a pas vu,
il n'hésite pas à avertir ses lecteurs : affaire de conscience « miracle
insigne, nous ne l'avons pas vu » ; « nous avons entendu dire ». Il
a deviné le « sous toutes réserves » de nos journalistes : dubitanter
     AOÛT 18S4,— n VIII                                       11