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 158                       LA REVUE LYONNAISE
    Ces beaux vers d'un poète aimé, vers que seul un amant pas-
 sionné de son pays a pu faire, vinrent à ma mémoire, et je les
 murmurai à demi-voix : doux comme une caresse, mélodieux
 comme la vague qui nous berçait :
                  Je sais depuis longtemps une grève sauvage,
                  Où l'oiseau des éeueils fidèle à ton rivage,
                  Gémit en secouant son aile au bord des flots ;
                  Où le sourd clapotis de la vague écumante
                  A la brise des soirs dont la voix se lamente
                       Ne répond que par des sanglots.

                  Ardèche ! que de fois vers ce désert austère,
                  Que de fois tu m'as yu, promeneur solitaire,
                  Loin des foules porter mes pas silencieux,
                  Et rêver, le cœur plein, au murmure de l'onde
                  Qui berce, confondus dans ta coupe profonde,
                       L'ombre des bois, l'azur des cieux !

                  Que de fois tu m'as vu gravir de cime en cime,
                  Mes deux pieds sur le roc et mon front sur l'abîme,
                  Tes remparts couronnés de sombres chênes verts.
                  Tandis que subissant l'attraction du vide,
                  Mon regard éperdu cherchait ton flot rapide
                      Au fond des gouffres entr'ouverts !... i




                                         II

    Une heure après, nous gravissions — fantaisie de rêveur, ou
 simplement peut-être de noctambule — la rue étroite, tortueuse
 qui de la rivière mène dans l'intérieur du village. Ce qui nous
gâtait le vieux burg, à certains moments, c'était ses habitants,
et nous étions bien sûrs, à cette heure, de ne rencontrer âme qui
 vive.
   C'est peut-être bête de se laisser empoigner par la nuit, la lune,
les ruines, le souvenir de gens morts il y a huit cents ans, mais
nous ne pûmes échapper à l'influence étrange qui se dégageait de
cette solitude silencieuse, de cette mystérieuse obscurité. Nous

 4
     Eugène Villard : Les Vallonnaises. Paris : Douniol, 1876.