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BALAZUC ET PONS DE RALAZUG 159 éprouvions comme une sensation de nécropole à travers ces rues voûtées, ces maisons noires comme de vieux tombeaux. Il semblait que le bruit de nos pas allait réveiller les morts, animer ce désert, garnir ces crénaux et ces mâchicoulis de gens d'armes, encadrer dans ces portes à ogive, dans ces fenêtres fleuronnées de trèfles, les serfs du vieux domaine féodal. Nous vîmes l'église : une vieille chapelle romane,, que la lune couvrait comme d'un suaire blanc. Depuis Pons, faisant bénir ses armes sous sa voûte sacrée, que de générations ont prié et dorment de l'éternel sommeil à l'ombre de l'humble sanctuaire ! La porte s'ouvre dans un étroit couloir voûté qui, barricadé, faisait, mesure justifiée dans ces temps de troubles, de la maison de paix l'asile inaccessible des vaincus. Le couloir traversé, nous fûmes tout à coup éblouis et comme enivrés par l'immensité de lumière et d'espace qui nous environna. Nous nous trouvions sur une étroite plateforme, qui termine le rocher de ce côté, et domine l'Ardèche, à pic, d'une hauteur de trois cents pieds. Du haut de ce gigantesque piédestal, nous eûmes une minute de vertige. Le rocher sembla osciller sur sa base et se précipiter avec nous dans le vide. A une profondeur vertigineuse, les eaux nous apparaissaient, tantôt étincelantes, tantôt glauques, suivant les jeux de la lumière. Aussi loin que le regard pouvait s'étendre, elles coulaient entre deux falaises à pic dont les cimes dentelées, se découpaient en lignes sèches sur le clair du ciel. Sur la rive opposée, une tour se dressait, en apparence inacces- sible ; — jadis tour de guet et surveillant la vaste lande qu'elle domine. Le paysage avait le charme d'un rêve, et nous dûmes faire un effort violent pour revenir à la réalité. Nous nous retrouvâmes bientôt dans l'obscur dédale des rues voûtées, allant au hasard de nos pas, le regard frappé parfois par un profil de mâchicoulis, de mur crénelé, de vieille tour, subitement mis en lumière par un rayon de lune égaré. Nous débouchâmes dans un chemin voûté d'aspect saisissant. Le long du flanc de cette galerie couverte, de grandes baies en forme d'arceaux s'ouvraient jusqu'au ras du sol. Le ravin dévalait en pente raide au bas. Là , certainement, pas une pierre n'avait été touchée depuis six cents ans. A travers les grandes baies qui semblaient des fenêtres ouvertes sur un monde