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                BALAZUC ET PONS DE BALAZUC                         157
ment historique. Son nom, d'origine arabe incontestable — Lango
Eldin — s'harmonisait avec sa personne : expression la plus com
plètedu type sarrazin. Petit, sec, les membres grêles et nerveux,
basané comme un Kroumir, le nez court et relevé, les yeux noirs
comme du charbon, les cheveux drus et courts, noirs aussi, et plan-
tés bas sur le Iront : tel était Lango, ressemblant fort, du reste, à
tous ses concitoyens.
   Les compagnons d'Abdérame, ayant au huitième siècle remonté
le Rhône et ses affluents, s'étaient emparés d'une grande partie du
Vivarais, et avaient établi à Balazuc une colonie de chasse et de
pèche. Les Sarrazins chassés, un bourg gothique se greffa, aux
douzième et treizième siècles, sur le village maure : relique archéo-
logique, il n'a rien perdu jusqu'à aujourd'hui de son aspect moyen
âge : des maisons noires étagées sur les flancs du rocher, une cein-
ture de remparts, une haute et sombre tour, et, aux pieds du
rocher, l'Ardèche avec son bac, vieux de plusieurs siècles. Lango
était peut-être le descendant de quelque grand seigneur sarrazin,
mais il n'avait pas l'air de se soucier de sa noble origine; ses pré-
occupations n'ayant pour objet que la rivière et ses habitants, dont
il faisait chaque année un recensement pour le moins aussi exact
que d'autres plus officiels. Lango connaissait l'âge, le gîte et les
habitudes de chaque poisson de son domaine. Il avait des réserves
où vivaient et grandissaient, sous sa surveillance, les grosses pièces
qu'il gardait pour les grandes occasions.
   La nuit avait fait descendre sur nous de grands silences : le vil-
lage dormait dans un lit d'ombre bleue. Sa haute tour, la pointe de
son clocher roman, dépassant sa masse brune, se détachaient en
noir sur l'azur lumineux. La lune rasait la lande, jetant partout
comme un voile de gaze argentée, et sa lumière se reflétait brillante
sur les calcaires aux grandes surfaces lisses.
   Les ombres transparentes avaient des reflets de velours violet, et,
sur les eaux, c'était parfois comme un bouillonnement de flammes,
un jaillissement d'étincelles, et, parfois, comme un miroir d'étain
luisant et lourd, refléchissant le ciel clair et les roches grisâtres.
Ombre et silence partout : ombre lumineuse et silence murmu-
rant. Le clapotis de la vague frappait l'air à intervalles lents et ré-
guliers.