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 156                   LA REVUE LYONNAISE

 l'harmonie des milieux! C'était pour moi une cause de récrimina-
 tions continuelles contre mon compagnon. Ces récriminations ne
 cessaient qu'à table; caria bonne femme n'avait pas sa pareille —
 je dois en faire l'aveu — pour apprêter les truites qu'on nous ap-
 portait frétillantes de l'Ardèche, et les aubergines à la sauce tomate
 qu'elle cueillait dans son jardin.
    J'avais dû céder à mon compagnon, et sacrifier le logis que j ' a u -
 rais préféré : au bout d'une rue en échelle, un amour de maison
 moyen âge — douzième ou treizième siècle — noire, sombre, avec
 porte ogivale, fenêtre à trèfle géminé, escalier suspendu, et, tout
 autour, un entrecroisement de voûtes, de passages sombres, mysté-
 rieux, contemporains de Pons. Il est vrai que la porte était un peu
 basse, là fenêtre étroite, l'intérieur mal hanté, selon mon compa-
 gnon — une misère : des araignées, quelques scorpions, ces der-
 niers, par exemple, d'une grosseur remarquable, très beaux
— mais les trèfles étaient si délicatement dentelés, les colonnettes
 si élégamment et si finement contournées ! L'escalier manquait à la
 vérité de solidité, mais quelle couleur locale pour nous qui cher-
chions le moyen âge, que ce logis vieux de huit siècles, et qui
avait dû être l'habitation d'un croisé, retour de Jérusalem!...
    Cédant, ainsi que je l'ai dit, aux répugnances — si peu jus-
tifiées, on le voit — de mon compagnon, nous avions établi nos
pénates à l'osteria de la Flamande.
    Nous revenions ce soir-là d'unelongue promenade sur l'Ardèche,
poussée jusqu'à l'oasis de Serviêres, où nous avions découvert la
veille un beau Poussin, avec son ciel pur, ses lignes classiques, sa
composition simple et grande, et, à côté, un Français tout fait : un
îlot de peupliers, d'aulnes et de saules se doublant dans un miroir
d'eaux bleuâtres, avec un horizon de vertes collines aux pentes
adoucies, de grasses prairies où ruminaient paresseusement des
vaches rousses ; et tout cela à deux pas de la lande âpre, sauvage
et brûlée par le soleil. Notre batelier, le tisserand de l'endroit — il
faut bien faire quelque chose, disait-il—mais le plus enragé pêcheur
de Vogué à Ruoms, et qui passait littéralement sa vie dans l'eau,
péchait pendant ce temps les truites qui fournissaient notre table.
Il nous était doublement précieux : comme pêcheur, cela va sans
dire, et comme sujet d'étude. 11 avait pour nous la valeur d'undocù-