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BIBLIOGRAPHIE 103 encore mieux homme à le justifier, et pour ce faire, il est allé aux sources les moins suspectes, aux faits • eux-mêmes d'abord, qu'on chercherait en vain à tronquer ou à méconnaître, puis aux correspondances diplomatiques, qui ne disent pas toute la vérité, mais qui permettent de la dégager en entier, lorsqu'elles sont analysées au jour le jour, à mesure qu'elles se déroulent à la suite et sous le coup des événements Voilà qui ne saurait tromper, quoique la diplomatie soit, dit-on, l'art de de'guiser sa pensée ; il ne s'agit que de bien savoir lire non seulement le texte, mais entre les lignes; si épais que soit un masque, il moule le visage et en trahit malgré lui les contours, S'il y avait une alliance naturelle, en quelque sorte nécessaire, imposée non seulement par la communauté de foi, mais plus encore par celle des intérêts, c'était l'alliance des Huguenots de France et des Gueux des Pays-Bas. Le nom adopté par les premiers l'indique lui-même : Eidgenossen, liés par le serment, ne peut s'entendre que d'une fédération dont les liens mystérieux, franchissant les frontières, unissaient, en dépit des nationalités, tous ceux qui rêvaient d'établir une société nouvelle sur les bases de la Réforme. Les révolutions ne sont pas modestes : dès le premier pas, elles aspirent au dernier ; l'indépendance religieuse appelle d'ailleurs l'indépendance politique, et l'on ne saurait nier qu'en brisant avec Rome les principaux disciples de Luther et de Calvin n'aient entrevu l'espoir de rompre un jour avec les dynasties. La Franco-Gallia de Hotman, les célèbres Yindiciœ contra tyrannos d'Hubert Languet nous révèlent à demi leurs secrètes pensées en nous donnant la première idée d'une monarchie élective et d'une souveraineté nationale reposant, il est vrai, non sur la foule que Languet appelle la bête féroce, bettuam, mais sur l'aristo- cratie, c'est-à -dire sur une féodalité restaurée et agrandie. C'est cette concep- tion, toute protestante à l'origine, dont la Ligue s'empara plus tard à son tour, car, selon le mot de Bayle, les révolutions ont ceci d'étrange qu'elles transfor- ment la scène assez profondément pour permettre aux partis de s'emprunter réciproquement leurs maximes et de passer tour à tour du blanc au noir. Les preuves accumulées par M. Kervyn de Lettenhove, en dehors des explications officielles, ne laissent aucun doute à cet égard : le complot allégué peu après la Saint-Barthèlemy, par les dépêches royales n'avait rien d'imaginaire : les 22 et 23 août 1572, huit cents gentilshommes huguenots, groupés autour de la couche ensanglantée de Coligny, avaient décidé la déchéance de Charles IX, sinon la suppression même de sa famille ; aux Allemands, aux Anglais introduits par eux clandestinement à Paris, aux huit mille épées dont ils disposaient dans la capi- tale, allaient se joindre les milices provinciales mandées en toute hâte et les amis du dehors enrôlés pour la guerre de Flandre, lorsque le tocsin de Saint-Germain l'Auxerrois prévint cette formidable prise d'armes. Est-ce suffisant pour amnistier la Saint-Barthélémy et pour effacer les traces du sang répandu dans cette nuit sinistre, qui blessait jusqu'à la « conscience » de Tavannes? Nullement, car il n'y a pas deux morales en histoire, pas plus qu'il n'y a de crime indispensable. Mais il est bon, il est juste de ne point séparer les faits de leur cause, et de ne point taire à côté de cet odieux massacre le plus grand péril dont les Valois aient été menacés. Il est même équitable de rappeler les hésitations de Catherine de Médicis à l'heure suprême: si elles ne peuvent laver sa mémoire, l'humanité n'y perd pas du moins ses droits. Or, qui affirme le complot, qui témoigne de ces perplexités? Ce ne sont ni les récits de la cour,