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104 LA REVUE LYONNAISE ni même ceux des personnages qui l'avoisinent. M. Kervyn de Lettenhove récuse avec raison leur témoignage. Mais ce sont les relations étrangères, émanées des envoyés italiens, espagnols, anglais même, et par conséquent hors de tout soupçon, parce qu'elles sont désintéressées ; c'est Gavalli, Gavriana, Contarini, Petrucci, Michieli, ce sont des documents déposés au Record-Office, aux archives de Bruxelles et deSimancas : c'est Miron, Claude Haton, un peu plus suspects sans doute, mais qui n'écrivent pas du moins pour leur propre défense ou en vue de la postérité. Que l'on compare leur langage avec celui de d'Aubigné, de Hotman, et la vérité, — cette vérité si difficile à découvrir à travers les passions contemporaines, —finira par se dépouiller des voiles dont elles l'ont enveloppée. Hélas ! l'histoire n'est pas seulement un champ de contradictions, c'est aussi un champ de carnage, où le même parti se montre tour à tour victime et bourreau. Comme nous sommes loin de ce règne adorable du « Père céleste » que nous appelons de nos vœux quotidiens dans l'Oraison dominicale, et par quelle voie douloureuse la démence, la fureur aveugle des factions prétend y arriver ! Les Calvinistes sont dagues à Paris par Tavannes et hachés en Flandre par le duc d'Albe : mais quelles représailles ils prennent dans les Pays-Bas sous la besace des Gueux? Des représailles? Parlons plus exactement; une sanglante avance, car les pillages et les massacres commencent en janvier 1568, pour ne cesser que de longues années après. Le ministre Jean Michiels, pasteur boiteux des Bosch-gueuzen ou Gueux des bois, donne le signal en brûlant les églises catholiques et en faisant décapiter leurs prêtres au clair de lune, « en vertu du vingtième chapitre de la prophétie d'Ezéchiel ». Mais comme, la première goutte de sang versée, la bête fauve aime à s'en repaître et y prend goût! Les sauvages de l'Océanie sont dépassés par les « Indépendants » de la Néerlande. A la Briele, dix-neuf prêtres sont pendus, un crochet de fer sous le menton, après quatre heures de tortures, pour satisfaire la haine du petit-fils du Sanglier des Ardennes, qui avait juré de ne pas laisser un papiste en vie. Le 23 juillet 1572, à la prise de Ruremonde, Guillaume le Taciturne fait égorger tous les moines, les reli- gieuses et soixante bourgeois. Le 27 août suivant, ses troupes saccagent le Limbourg, jetant bas les monastères, tuant les tonsurés, outrageant les cloitrées, volant partout les calices et les reliquaires. Eu 1575, les chefs des Gueux enduisent de poix et de soufre les catholiques de la Noord-Oollande et du Waterland, leur enfoncent des pointes de fer dans les membres, les couchent sur des lits de charbons ardents après leur avoir enduit le corps d'eau-de-vie, écartèlent les pères et ouvrent la poitrine des fils pour en arracher le cœur ; en Flandre, ils lient des capucins aux arbres des forêts et leur tranchent ensuite la tête. De quelque côté qu'ils se dirigent, ils ne laissent qu'un long sillon de ruines fumantes et de cadavres pantelants. Mais c'est trop insister sur des scènes hideuses : avant le lecteur, l'historien lui-même demande grâce et s'arrête épuisé d'horreur, en détournant les yeux. Deux figures se détachent de ce sombre tableau dans les Pays-Bas et méri- tent de mieux retenir son attention et la nôtre ; ce sont celles du duc d'Albe et de Guillaume le Taciturne. Nous ne parlons ni de Louis de Nassau, une vaillante épée, un corps d'aventurier, aux muscles d'acier et à l'infatigable audace, dont la disparition, dans le combat de Mookerheyde, reste encore entourée d'un pro- fond mystère, et quî les Hollandais crédules s'attendront longtemps à voir ressus- citer, ni deMarnix, le souple, le véhément et fécond négociateur des Réformés, ni