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FELIBRIGE 97 Messieurs, voilà le fasle qui est écrit dans notre hisloire, le fasle digne et fier qui fut conclu jadis entre la France et la Provence. Or, nous, les fils de ceux qui pactisèrent, reconnaissant que nos ancêtres firent une œuvre de sagesse, et sachant que les vieux ont tenu leur parole nous jurons que les jeunes la tiendront à jamais. Et puisque nous avons fidèlement, loyalement gardé notre parole, nous n'aurions pas le droit de garder notre langue ? Oui, nous avons ce droit, et c'est pourquoi, Messieurs, dans celte fête fraternelle, le provençal résonne, hardi et applaudi, devant Paris qui nous écoute. Car nous ne voulons'pas, car nous ne voulons plus que les maîtres d'école ensei- gnent aux petits 1s mépris de la langue et des choses du foyer. C'est dans la langue provençale que le conscrit des bords du Rhône, que le tam - bour d'ArcoIe jette son dernier cri sur le champ de bataille; et si nos députés, et si nos sénateurs se taisent et l'oublient, nous, les poètes, représentants du peuple, par la grâce de Dieu, nous, avec nos poèmes qui auront un écho jusqu'au cœur de Pa- ris, nous protesterons éternellement. Mais Paris nous écoute, et s'étonne peut-être d'entendre des Français chanter dans un langage mélodieux et clair, qui cependant n'est pas le sien, il se demande : « Mais comment se fait-il que tous les fils de France ne parlent pas comme moi? » et les gentils félibres de répondra : La France est grande; depuis l'Océan vaste jus- qu'à la mer latine, du Sahara jusqu'au Tonkin, cent peuples vivent libres sous les plis de son drapeau; les uns ont le soleil, avec l'olive et la grenade qui pendent dans le ciel; les autres ont la fraîcheur et les prés verdoyants où les bœufs paissent; ceux-ci hantent la mer; ceux-là les rochers: et la sainte nature leur a donné à tous le caractère et le langage dont leur être a besoin pour se développer. Et dans chaque idiome, quand l'enfant dit : Ma mère, la mère sourit et l'em- brasse. 0 France, ô mère France, laisse-lui donc, à ta Provence, à ta charmante fille du Midi, la langue musicale où elle te dit : Ma mère! Et puis, à cette langue qu'ont parlée nos aïeux et que parlent, là bas, tes paysans et les marins, et tes soldats et tes félibres, à notre langue de famille, fais-lui dans tes écoles une petite place à côté du français. Messieurs, la république unitaire de Rome supprima, elle aussi, les idiomes des provinces. Mais elle respecta la langue grecque, par égard pour ses poètes. Et, qu'il vous en souvienne, un jour le Grec Plutarque éleva dans ses livres un panthéon incomparable à la gloire des Romains. Nous ne dirons pas l'enthousiasme qui accueilit ces magnifiques paroles, ni l'absolue sympathie de la presse européenne rendant compte les jours suivants de la fête en « l'honneur du quatrième centenaire de la réunion de la Provence à la France. » La Revue lyonnaise étant en quelque sorte le Moniteur des Féli- bres peut se borner à signaler les documents officiels. A six heures, ma foi ! on se rendit en farandole, sur un rigaudon de Sivry, à travers les rues de la ville étonnée; puis l'ascension du banquet commença et la nuitée s'acheva joyeuse avec les toasts, les discours, les vibrantes chansons d'Auguste Maria et la Cansoun de la Coupo entonnée religieusement par Mistral, émouvant et ému, entre la'Cour d'amour de3 dames de la fête, impro- visée derrière lui sur l'estrade d'honneur, et tous ces vaillants cœurs provençaux qui battaient d'estrambord au moment solennel. Comme appendice je citerai cette péroraison du discours de Marius Girard sur le séparatisme dont on accusa jadis les Provençaux : 7 JUILLET 1884 - T. VIII