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           LETTRES DE BERNARD DE LA MONNOYE                           5
fin la forme limpide et mâle de ses contemporains de l'Académie.
De l'autre, dans cette correspondance si peu préparée pour la pos-
térité qu'il recommandait à son fils de la brûler, il retrace sans le
vouloir la vie bourgeoise de son époque, avec ses habitudes ran -
gées et économes, il se peint lui-même tel qu'il a toujours été
peut-être, mais surtout tel qu'il était à son couchant, dans les der-
nières années de sa vie, et tel qu'on s'attendait difficilement à le
rencontrer.
   Qui le croirait ? Ce poète si prodigue de saillies, si étincelant de
verve, de traits plaisants, de cette large et saine gaîté qui nous
déride malgré nous dans les Noëls, ce chansonnier facétieux qui
semble toujours rire aux dépens d'autrui, n'est dans l'intimité, au
coin du foyer domestique, qu'un vieillard modeste, tempéré, froid,
minutieux et fort regardant en affaires, comptant jusqu'à un
 port de lettre, d'humeur égale, mais un peu sèche et un peu raide,
d'ambition et de goûts modestes, mais aussi d'allures méticuleuses
et de calculs étroits. Ce n'est pas l'âge qui l'a changé, ce ne sont
pas les années qui ont glacé sa fougue et réprimé les élans de son
esprit ; jusqu'aux limites extrêmes de l'existence humaine, il a gardé
la santé et la verdeur des jeunes années, bon souffle, bon jarret et
autant d'appétit « qu'il en faut pour faire deux petits repas jour-
naliers ». Si ce n'était l'oreille qui s'endurcit et la vue qui commence
à faiblir, il serait encore à quatre-vingt deuxanscequ'il était àqua-
rante. Au fond, il était simple, décent, voire même un peu austère.
Nous ne nous faisions guère une telle image du chantre de Blaisotte,
et nous ne nous figurions pas un Guy Bardsai si calme et si attiédi.
   Mais aussi, derrière cette apparence, — car ce n'est qu'une
apparence à laquelle il ne convient pas de trop s'arrêter, — l'on
aperçoit distinctement l'homme aux qualités plus nobles et plus
élevées, le philosophe chrétien que la ruine n'a pas abattu et que
la misère n'a pas flétri, l'homme qui sait courber la tête sous les
coups du sort, mais qui la redresse pour contempler Dieu, le vieil-
lard qui s'approche de la tombe sans détourner les regards, et qui,
loin de maudire la Providence des infortunes imméritées dont ses
derniers jours sont abreuvés, la bénit dans son cœur des sereines
espérances qu'elle ne lui a pas retirées. Considéré à ce point de vue,
Bernard de la Monnoye grandit visiblement : il nous donne une salu-