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LETTRES DE BERNARD DE LA MONNOYE 3 aujourd'hui bien oubliée, si, plus tard, Voltaire confessait que son Duel aboli était une des meilleures pièces de la poésie française, ces œuvres n'avaient pas pénétré dans les masses peu lisantes : les Noëls du Barosai, composés sous l'inspiration d'Aimé Piron, le rendirent en un jour célèbre, même dans sa ville natale qui ne s'est pas souvent montrée très tendre pour ses enfants. Mais s'ils provo- quèrent dans la foule de bruyants applaudissements, que ratifia la Cour elle-même, ils suscitèrent ailleurs de grands murmures. Dans ces facéties légères on crut découvrir des licences, des intentions parfois irréligieuses et ironiques. Le conseiller Dumay en fît la cri- tique, la piété s'alarma, et Guy Barosai fut dénoncé à la Sorbonne. L'accusation était fausse, les soupçons n'étaient point fondés. La Monnoye avait une foi trop profonde et une dévotion trop sincère pour ne point défier les censeurs les plus l'igoureux. Il avait seu- lement voulu s'égayer et mettre en œuvre les richesses philologi- ques qu'il avait amassées pour sou Glossaire du patois bour- guignon. Ses amis lui épargnèrent une condamnation flétrissante, contre laquelle il avait d'ailleurs protesté à l'avance dans une spirituelle apologie; mais il y perdit le calme de l'esprit, et bien que sa conscience ne lui reprochât rien, il conçut de cette aventure un vif chagrin qui peut-être le détermina à quitter Dijon. A soixante- cinq ans, en 1706, il alla se tixer à Paris, où tous les savants, qui avaient fort goûté ses Remarques sur les Jugements de Baillet et sa collaboration, au dictionnaire de Bayle, l'accueillirent avec les plus grands honneurs, où l'Académie française, après celle des Ricovrati de Padoue, lui ouvrit ses portes, où les grands seigneurs eux-mêmes se firent une joie de le fêter. Tout semblait donc lui promettre une vieillesse aussi heureuse que son âge mûr, et lui-même jouissait de -toutes les délices qu'assure une vie paisible, laborieuse, exempte de soucis matériels et honorée, lorsquela chute du système de Law emporta en un clin d'œil toute sa fortune. En quittant la Bourgogne, il avait converti ses fonds en rentes et s'en était fait un riche revenu. On le paya en billets de banque qui devin- rent bientôt un papier inutile entre ses mains. Pour manger du pain, il dut vendre sa bibliothèque à M. de Saint-Port, qui la paya dix mille livres, et jusqu'aux médailles d'or qu'il avait-reçues en prix académiques. Sans la libéralité du duc de Villeroi, il se serait