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                             TIC-TAC.                           495

    Henriette annonçait son retour...
    — Elle n'a pas vingt ans, dit Anselme. En qualité de tuteur,
j'ai le droit de m'opposer à ce caprice.
    — Niais, répliqua Sophie, mécontente-la vite, pour que l'heure
sonnée, elle nous chasse plus tôt.
    Henriette revint donc au moulin. En voyant cette fille éblouis-
sante de jeunesse et de beauté, dame Sophie se sentit mordue
au cœur par une haine féroce. Elle ne reçut pas moins à bras ou-
verts la pupille de son mari. Celui-ci, qui avait appris sa leçon,
se montra prévenant, obséquieux. Henriette ne fut, pas dupe de
 ces beaux semblants. Il y a une force répulsive entre l'esprit de
 rapine et la générosité.
    Si la vie de pension retient dans un cercle d'idées puériles les
têtes légères et dissipées, elle mûrit et développe les natures
portées à la réflexion. Or, Henriette avait le caractère observa-
 teur. Quelques mots saisis au hasard, un rapide coup-d'œil jeté
 sur le cahier huileux qui servait de grand-livre éveillèrent ses
soupçons. Elle se demanda si le toit maternel n'abritait pas un
nid de voleurs. Le père La Rite consulté à cet égard répondit laco-
niquement : Coquin et coquine, ménage assorti... Méfiez-vous et
attendez
    Dès lors Henriette se créa une vie à part. Sans rien brusquer,
 elle se maintint le plus possible en dehors d'une société odieuse.
 Tantôt de longues promenades occupaient ses journées et enri-
 chissaient son album de croquis et de petits poèmes. Les croquis
 étaient hardiment tracés ; les poésies, sans être dignes d'un bas-
 bleu, ne manquaient pas de grâce. Seulement on n'y rencontrait
 pas quarante fois en deux pages les rimes : ombre, sombre, dif-
 forme, énorme, grêle, frêle, comme en certains livres que je ne
 désigne point. Tantôt elle travaillait dans sa chambretle, un frais
 réduit arrangé par elle, meublé d'un petit lit blanc, d'une volière
 et d'un piano avec des fleurs sur la fenêtre, la vue du ruisseau
 et les montagnes bleues à l'horizon.
    Citons pour mémoire une mirobolante et méprisante définition
 du piano donnée par Anselme à ses ouvriers émerveillés de la
 musique nouvelle qui faisait diversion au bruit monotone de la