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TIC-TAC. 493 plus fort. Le cheval cède à la crainte d'une molette d'éperon et d'un bout de Ocelle. Le premier qui jeta comme une injure le mot âne à la lace des sots eût mérité de porter le bât. Laissez donc le père la Rite appeler son baudet Cicéron. Il y a peut-être là -dessous quelque allusion spirituelle. Où trouver d'ailleurs une voix plus sonore, avec la dignité modeste du maintien qui sied si bien à l'orateur? Qu'était le père La Rite? d'où venait-il? nul ne pouvait le dire. On le désignait ainsi à cause de la couleur et de l'aspect de sa barbe (1). On le vit un beau matin installé sur la lisière du bois. La population rurale s'émut; mais le brigadier Wolfelfzberger,qui selon l'avis unanime de ses quatre gendarmes, en savait toujours plus long qu'il ne semblait, se porta garant de la moralité du fiel ponhornme après un court entretien. Dès-lors, les fermiers dormirent tranquilles. Les gardes l'épièrent vainement, désireux de le surprendre en contravention ; car cet œil ouvert dans la forêt les gênait un.peu. Le père La Rite ne cassa jamais une bran- che verte et ne tendit pas le moindre lacet. Pourtant ses habi- tudes avaient quelque chose de mystérieux et d'insolite. Sous ses grossiers baillons perçait une distinction native ; il n'adressait le premier la parole à personne ; mais si quelque passant l'inter- pellait, il répondait avec politesse. Il refusait toute aumône et soldait comptant le peu qu'il achetait pour sa nourriture. A des époques fixes, il partait très-décemment vêtu pour aller je ne sais où et revenait quelques jours après endosser sa misérable dé- froque. Plus tard, un beau jeune homme lui fit de fréquentes visites. Etait-ce un fou, un sage, un grand pécheur ou un saint ? Mon Dieu! qui lira dans la conscience et sous le crâne humain... Des indices sérieux indiquaient néanmoins chez lui certain de- rangement intellectuel. Ainsi les bûcherons et les chasseurs l'en- tendaient parfois se livrer à des déclamations judiciaires fou- gueuses, passionnées ; on distinguait le réquisitoire tonnant de l'accusateur public, la phraséologie insinuante de l'avocat, l'arrêt sévère, du juge et les protestations du condamné. A ces discours (1) Rite, chanvre fin prêta être filé. (Patois dauphinois.)