page suivante »
488 TIC-TAC. toit verdâtre et son écluse branlante, il n'en forme pas moins un tableau attrayant. Dans la cour, ceinte d'aubépines, de lourdes charrettes acculées, levant leurs grands bras peints à la cendre bleue, attendent le chargement. Les mules se reposent et man- gent tout harnachées sous le hangar, le muffle enfoui dans un petit sac d'avoine suspendu à leur licol. De beaux canards lustrés lissent leur plumage au sortir du bain; un coq empanaché circule à la tête de son sérail ; des pigeons se becquettent sur les com- bles : scène champêtre, paisible et gaie. Entrons dans la pièce principale du logis aux solives enfumées, aux grands dressoirs chargés de cuivres reluisants comme le hau- bert des chevaliers un jour de passe-d'armes. Au dehors tout est joie et lumière ; ici, tout est deuil et ténèbres. Des rideaux épais interceptent la clarté de l'unique fenêtre. A peine distinguez- vous une jeune fille agenouillée au chevet d'un lit, où sur la blan- cheur des oreillers se détache vaguement le pâle visage d'une mourante. Si les spasmes de l'angoisse ne faisaient par intervalle tressaillir le corps de l'enfant, si l'œil de la malade ne brillait d'un éclat fiévreux, vous diriez la statue de la douleur pleurant près d'un tombeau. La femme qui se meurt est Victorine Dufour, propriétaire du moulin et mariée en deuxièmes noces à Claude Anselme. La jeune fille, fruit du premier lit, a nom Henriette — Ma fille, dit la mourante, tâche de te calmer. Ta douleur me fait plus de mal que mes souffrances. Et puis j'ai à te parler. Si je t'ai fait sortir de pension, ce n'est pas seulement pour t'embrasser une dernière fois ; j'aurais voulu t'épargner le triste spectacle de mon agonie; mais il faut que j'aie une dernière explication avec toi. Anselme est allé chercher le curé, écoute- moi. — 0 ma mère ! ma pauvre mère! — Ecoute, ma fille, je t'en prie, je le veux. Henriette par un effort suprême, comprima ses sanglots et se releva à demi. • Tu te souviens, mon enfant, comment après la mort de ton