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DU CHEVALIER DE BOUFFLERS. 329 dévouement, qui, je l'espère, vous fera me pardonner toutes mes sottises. — Ce portrait est tout ce qui peut désormais me res- ter d'Aline, eh bien, nécessité cruelle ! de cette même main qui l'a tracé avec tant d'amour, je vaisl'anéantir... Ce sacrifice, joint à la dureté de ma position, doit me tuer, madame, il me tuera! LA COMTESSE. Du courage, chevalier, du courage, et expliquez- moi votre projet. BOUFFLERS. Ne faut-il pas que le marquis voie ce portrait, sans vous reconnaître, et ne faut-il pas cependant qu'il en recon- naisse le modèle afin de rester bien convaincu qu'il n'y a aucune supercherie de ma part? LA COMTESSE. Je ne vous comprends pas du tout. BOUFFLERS. Pardonnez-moi... le trouble, le désespoir... N'avez- vous pas une jeune suivante qui s'appelle Aline ? LA COMTESSE. Sans doute, c'est ma filleule. BODFFLERS. Veuillez la faire venir. (Boufflers prépare ses crayons; la comtesse sonne, Aline paraît.) ALINE. Que désire madame la comtesse? BOUFFLERS. C'est pour moi que tu viens, Aline ; assieds-toi là , comme ceci, la tête un peu de côté ; regarde-moi cependant, très-bien. {Il dessine). LA COMTESSE [riant). Je comprends à présent, il n'y a qu'un Boufflers pour avoir de ces imaginations. BOUFFLERS. Ah ! crayon maudit, je te briserai en mille pièces, lorsque tu auras achevé ton œuvre infernale. Va, scélérat, profane à ton aise ces traits ravissants •, agrandis cette bouche, raccourcis ce nez et ces yeux, cesyeux.. (regardant les yeux à " Aline.) ceux-ci, au fait, ne sont pas trop mal non plus. (« Aline.)Sais-tu, friponne, que tu as de jolis yeux? LA COMTESSE (« part.) Il n'en mourra pas pour cette fois-ci, me voilà bien rassurée. ALINE. VOUS êtes bien bon, monsieur, mais n'avez-vous pas bientôt fini? ça me lasse joliment de rester comme ça sans bouger. BOUFFLERS (se levant). Je te rends la liberté; tiens, regarde toi- même, je t'ai faite plus jolie que tu n'es.