Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
 310                        UNE AVENTURE
      LE MARQUIS. Mais, comtesse, veuillez me permettre de vous
  faire observer que ni vous ni moi ne pouvons savoir...
     LA COMTESSE. VOUS vous trompez ; je sais, moi, que votre Bouf-
  flers en a menti comme un poète qu'il est        Il ment, vous dis-je,
  j'en suis certaine. (Le marquis paraît étonné.) J'en suis morale-
  ment certaine, car je n'admettrai jamais que vos roués sédui-
  sent ainsi à première vue toutes les femmes qu'ils rencontrent ;
  oui, malgré la fatuité, l'audace, les prétentions de ces messieurs,
  il y a encore, grâce au ciel, et il y aura toujours des femmes
  qui sauront les braver sans peine. La modestie, l'innocence, la
  vertu ne sont point mortes, grâce au ciel, le jour où ces soi-
  disant invincibles sont venus au monde.
      LE MARQUIS. Je n'ai garde, comtesse, de vous contredire, et je
  regrette sincèrement de vous avoir autant irritée par une lecture
  que vous aviez sollicitée vous-même convenez-en.
      LA COMTESSE. Il est vrai ; j'avais oublié qu'une ùonnete femme
  ne peut rien lire de ce qui s'écrit aujourd'hui et que ce genre de
  littérature qu'on appelle frivole, et que moi je nommerai hon-
  teux, estseul à la mode dans un monde qui s'imagine que la France
  entière suit ses tristes exemples et copie ses mœurs... Mais assez
  de morale comme cela, emportez ce manuscrit et souvenez-vous
  bien, après comme avant notre mariage, que je ne veux sous au-
  cun prétexte me trouver en face de l'écrivain dont la plume a
 tracé ces pages plus que légères.
     LE MARQUIS. Mais, comtesse          à peine à présent oserai-vous
  dire      Boufflers doit ce matin même venir ici chez vous et je
 suis étonné qu'il n'y soit pas encore.
     LA COMTESSE. Serait-il possible '. sans ma permission !
     LE MARQUIS. Pardonnez-moi, comtesse, mais le chevalier est
 de la meilleure noblesse, de l'une des premières familles de
 France ; je m'honorais de le connaître (mouvement de la comtesse),
j'avais tort peut-être, mais c'est comme cela. Boufflcrs et moi nous
 sommes liés depuis bien des années ; en apprenant mes projets
 d'hymen il avait sollicité l'honneur de vous être présenté, et
j'avais cru pouvoir prendre sur moi de lui accorder cette faveur ce
matin même, un homme comme lui n'étant jamais bien certain