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DU CHEfALIER DE BOUFFLERS. 309 paysanne, il n'y a souvent d'autre différence que le costume- LE MARQUIS. Eh quoi, madame, est-ce bien vous que j'entends énoncer des idées pareilles ? Adrnettriez-vous ces ridicules prin- cipes d'égalité que prêchent partout depuis quelque temps de soi-disant philosophes ? LA COMTESSE. Rassurez-vous, marquis, je ne suis nullement philosophe et je vous expliquerai une autre fois ce que je veux dire. Continuez, de grâce, et ne vous interrompez plus. LE MARQUIS (lisant). « Ne sachant quel compliment lui faire pour entrer en conversation avec elle, je lui demandai à boire un peu de son lait pour me rafraîchir. Je lui fis ensuite quel- ques questions sur sa famille^ sur l'âge qu'elle avait; elle me répondit à tout avec une naïveté et une grâce qui rendaient ses paroles dignes de sortir de sa bouche. » LA COMTESSE (à part). Il paraît que je ne jouais pas trop mal mon rôle. LE MARQUIS. « Je sus qu'elle était du hameau voisin et qu'elle s'appelait Aline. » LA COMTESSE (à part). Le nom de ma filleule que j'imaginai de me donner. LE MARQUIS. « Ma chère Aline, lui dis-je, je voudrais bien être votre frère. Et moi, me répondit-elle, je voudrais bien être vo- tre sœur. » LA COMTESSE (étourdiment). Par exemple, ceci n'est pas exact. LE MARQUIS. Pardon, comtesse, j'ai parfaitement lu. « Et moi, me répondit-elle, je voudrais bien être votre sœur. Ah ! je vous aime pour le moins autant que si vous l'étiez, ajoutai-je en l'em- brassant. (Mouvement de la comtesse.) Elle se mit à pleurer et se dégageant brusquement de mes bras, elle ramassa son pot et voulut se sauver. Son pied glissa sur la voie lactée... Elle tomba, je volai à son secours, mais inutilement, et... » LA COMTESSE (saisit brusquement le manuscrit et, après l'avoir parcouru des yeux, le jette avec indignation sur le guéridon.) Assez, monsieur, veuillez m'épargner la suite de cette lecture, je devrais dire de ce libelle qui n'est qu'un tissu d'indignités, de faussetés...