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ANECDOTES SUR VOLTAIRE. 253 chercher FEsculapc le plus voisin, M. E..., de Gex, qui, arrivant de suite auprès du patient alité, lui tâta le pouls , examina sa langue et, d'une voix solennelle, prononça les paroles suivantes.: « M. de Voltaire, je vais vous faire une saigne; demain vous pren- drez une purge et, si ces deux remèdes n'opèrenl pas, nous aurons une consulte avec le médecin que vous jugerez convenable de in'adjoindre. » A ces mots, Voltaire, mu comme par un ressort, se mit sur son séant, prit sa tête à deux mains et s'écria d'une voix de stentor: -— Sortez, Monsieur, de la demeure d'un auteur trop ami de la langue pour la laisser ainsi massacrer impunément devant lui ; chacun de vos remèdes est un barbarisme qui fait plus de mal à mes oreilles, qu'il ne ferait de bien à mon pauvre corps. Sortez, vous dis-je ! Le docteur s'en fut, stupéfait d'entendre le patriarche de Fer- ney se récrier sur l'inconvenance d'expressions que sa longue habitude de s'en servir avait consacrées à ses yeux. Rentré chez lui, il courut à son dictionnaire et vit que ses lo- cutions péchaient par leur finale seule, puisque de saigne, purge et consulte, on faisait saignée, purgation et consultation. Mais voici un fait plus honorable pour Voltaire, puisqu'il prouve qu'à tout son esprit il joignit souvent un excellent cœur. En 1770, et lorsqu'il habitait momentanément le Petit-Saccon- nex, il eut un procès avec un agriculteur de cette commune au sujet d'une portion de terrain que Mme Denis prétendait"apparte- nir à son oncle, et qu'elle avait intercalée dans une avenue con- duisant au château de Ferney. Le propriétaire, M. Pa...t, gagna sa cause en première instance au tribunal de Gex ; Voltaire interjeta appel au tribunal de Dijon. Le procès avait duré longtemps : pour le continuer, il fallait que l'adversaire de MmeDcnisl'ît de nouveaux frais et se rendit à Dijon pour y solliciter ses juges, suivant l'usage du temps. L'argent manquait à l'agriculteur, qui, dans sa détresse, ima- gina pour s'en procurer de s'adresser au patriarche de Ferney lui- même. 11 se rendit donc au château, peignit sa pénible situation au philosophe et lui conjura de lui prêter 25 louis. — C'est l'héritage de mon père qu'on veut me ravir ; et vous seul pouvez me fournir les moyens d'obtenir justice. — Oh! o h ! voilà qui est nouveau! s'écria Voltaire. Vagnère , dit-il à son secrétaire, avons-nous cette somme en caisse? — Oui, M. Voltaire. — Eh bien, compte-les à ce brave homme, qui vient chercher ici des verges pour me fouetter, et qui n'aura pas compté en vain sur mes bons sentiments. La somme fut prêtée ; le parlement de Dijon confirma la pre- mière sentence, et Voltaire alla de suite féliciter M. Pan...t d'un succès qui lui était dû. . J. PETIT-SENN.