Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                 106
   « conque aime un asile un peu sauvage et retiré. Après avoir
   « essayé deux ou trois de ces maisons, nous choisîmes
  « enfin la plus jolie, appartenant à un gentilhomme qui
  « était au service, appelé M. Noiret. La maison était très-
  < logeable. Au-devant était un jardin en terrasse, une vigne
    •
  « au-dessus, un verger au-dessous, vis-à-vis un petit bois
  « de châtaigniers, une fontaine à portée; plus haut, dans la
  « montagne, des prés pour l'entretien du bétail; enfin tout
  « ce qu'il fallait pour le petit ménage champêtre que nous y
  " voulions établir. Autant que je puis me rappeler les temps
  « et les dates, nous en prîmes possession vers la fin de l'été
   « de 1736 (1). »
      Le vieillard errant, proscrit, trahi de toutes parts q u i ,
'dans un admirable livre . confia ses vertus, ses fautes et ses
  douleurs à la postérité, devait bien souvent soupirer en pen-
  sant au modeste asile où jadis il avait été si heureux. Personne,
  je crois, n'a payé la gloire plus cher que Rousseau. Ecrivain
  consciencieux et indépendant, il ne voulut se mêler ni à la
  cabale des philosophes, ni à la coterie de Fréron , et il fut
  harcelé des deux parts. A ses infortunes réelles, se joignaient
  celles que son caractère mélancolique lui suscitait ; et'corame
. il n'y eut jamais de siècle plus positif, plus content de lui-
  même , plus gai et plus ami du rire que le dix-huitième , on
  se moqua de Jean-Jacques et on le crut fou. L'ame de Rous-
  seau était de celles.qui, ne trouvant point d'écho au-dehors,
  sont forcées de se replier sur elles-mêmes ; qui évitent autant
  que possible tout contact extérieur, parce qu'elles savent que
  ce contact leur porterait mille blessures poignantes; enfin
  qui ne se mêlent pas aux joies de la vie , parce que pour elles
  ces joies se changeraient en fiel. Certes, dans le temps des
  petits soupers, des petites maisons, des courtisans et des fa-
  voris, cet homme, avec ses allures sauvages, sa timidité
  native, sa défiance de lui-même et des autres devait sembler

   (1) Confessions, Ve parties 5 e livre , vers la fin.