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 726                       LA R E V U E L Y O N N A I S E

 assassinats légaux ou illégaux, la fusillade, la guillotine, les égorgements dans
 les cités rebelles et les massacres de la Vendée. Tout le monde connaît cela avec
 moins de détails sans doute qu'en fournit M. Taine — ici la légende en dit
 beaucoup moins que l'histoire et les pièces officielles — ; il semble superflu de
 rappeler les noms à jamais maudits de Fouquier, de Léljon, de Carrier. Ce n'est
 pas seulement la richesse qui est un vice, selon Robespierre, at l'opulence qui
 est, d'après Saint-Just, une infamie ; la hache jacobine n'atteint pas seulement
 « quiconque a sur la tête un bon toit et sur le corps un bon habit »; elle n'en-
 tend laisser debout aucun arbre, depuis le plus grand chêne jusqu'au plus mince
 baliveau : sur 12,000 condamnés à mort dont on a relevé la profession, 7545 sont
 laboureur?, ouvriers, domestiques ou artisans. La coupe sombre est conduite à
 travers le taillis comme à travers la futaie ; on rase jusqu'aux plus maigres buis-
 sons : encore une fois, nul ne l'a oublié.
   Mais ce qui peut surprendre, ce dont il est impossible de ne pas être frappé,
 parce qu'ici M. Taine est véritablement neuf et^ saisissant, c'est le programme
jacobin, le petit nombre d'hommes qui suffit à l'imposer à la France, ce sont
les causes qui en provoquèrent la chute. Il est bon de le redire à ceux qui
regarderaient la Terreur comme un accès passager de folie : tout accident a ses
origines et les mêmes causes produisent les mêmes effets ; l'histoire ne se crée
pas, elle se renouvelle ; il n'y a que les dates, les lieux et les noms de changés.
   Le jacobinisme avait un programme ou plutôt une idée fixe, et rien n'est plus
dangereux qu'une idée fixe dans un cerveau vide : c'était celle du contrat social,
qui se réduisait à l'aliénation totale de chaque individu à la communauté, sans
exception ni réserve ; le citoyen n'est qu'un gérant toléré ou institué par l'Etat
et administrant pour lui. Le peuple est donc le seul souverain ; mais au nom de
cet être idéal, une bande usurpe violemment tous les pouvoirs publics, abolit tous
les droits privés, s'assure le monopole de la tyrannie et de l'omnipotence, et,
sous prétexte de régénérer l'espèce humaine, traite l'homme, être réel, comme
un automate, afin de le maintenir mécaniquement dans une posture anormale où
la liberté n'existe plus que pour les pires instincts de la nature dépravée.
    Quels sont les chefs ? M. Taine les passe en revue et fait leur psychologie,
 Marat, Danton, Robespierre, Collot, Couthon, Saint-Just ; poignée d'hommes
médiocres, dont les facultés sont disproportionnées à leurs prétentions, dont le
 délire ambitieux chez les uns, la soif des jouissances chez les autres, l'amoûr-
 propre froissé chez un troisième, le besoin de se prouver leur puissance et par-
 lois la peur chez tous ont surexcité la cruauté bestiale, qui se haïssent ou se
méprisent réciproquement, et ne restent unis qu'afin de se faire la courte échelle
 pour atteindre à la dictature. Derrière eux, une autre poignée un peu plus gran-
 de, plus tarée et plus incapable peut-être encore, « l'écume de l'immoralité, »
 ralliée par les mêmes appétits autour du même dogme, à deux on trois fanatiques
près, et dont le vol, le meurtre sont les seules aptitudes. C'est cette bande subal-
terne qui reçoit la mission d'aller former les comités révolutionnaires en province :
il devait y en avoir 45,000, composés de 540,000 membres, coûtant au public
591 millions par an ; par bonheur, le monstrueux champignon n'a pu végéter
qu'à demi, les sujets manquent pour fabriquer des terroristes et des inquisiteurs,
le pays est si mal préparé à la régénération qu'à peine parvient-on à trouver
dans chaque département vingt ou trente « b . . . à poil » pour purger, épouvanter
les populations suspectes des villes. A la campagne, la disette est plus grande