page suivante »
PENSÉES 695 par la fièvre de la parole, fait ainsi des conquêtes dont il s'étonne après coup. Il en est pour qui la tribune ou la chaire est une sorte de pilori, où ils apparaissent cloués, pâles, balbutiants, confus ; ceux-là souffrent et font souffrir ; il en est d'autres qui sont en chaire ou à la tribune comme sur le trépied, ardents, transfigurés, presti- gieux ; qu'ils sont heureux de parler ! Qu'on est heureux de les entendre ! * L'orateur, d'un coupd'œil, mesure l'espace immense... Cepen- dant, le verbe hennit et piaffe, impatient. «Va! » lui est-il dit enfin; et le verbe, lancé au galop, ébranle le sol, soulève des étincelles, dévore la distance, et triomphe ! Un conférencier de Notre-Dame disait : « Il faut, si l'on veut bien prêcher, avoir le diable au corps. » Que n'ajoutait-il : « Et Dieu dans le cœur ! ! » Il pleurniche et larmoie, pensant m'attendrir. S'il était tendre, ce serait fait. Savez-vous quel est le meilleur auditeur de Loquax ? C'est Loquax lui-même. Loquax se regarde et s'écoute parler avec un très visible contentement. Il se penche vers ce qu'il dit, et approche l'oreille de ses lèvres pour ne pas perdre un mot. Il se cite, il se donne raison,il s'admire, il s'applaudit. En parlant, il a des gestes, des mouvements, des attitudes de prestidigitateur. Rien ne lui échappe qui soit simple et naïf; tout est voulu, mesuré, combiné, apprêté. Sa causerie (est-ce bien une causerie ?) est un traité de rhétorique, où défilent toutes les figures de discours, principale- ment l'antithèse, chère à Hugo, et l'épiphonème, familier à Cha- teaubriand. Tout serait sans doute à souhait, si le témoin de cet