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614 LA REVUE LYONNAISE
A seule fin d'avoir une rime à céleste, il emploie la plus fausse
des images, car la perruche est au monde l'oiseau qui a le pied le
moins leste. Quand il nous fait voir, en méchants vers, un
quelqu'un
S'enivrant des accords de la flûte vantée,
Dea fleurs, des lustres d'or de la fête enchantée,
Il accouple seulement des chevilles riches, et la flûte pourrait,
à l'inverse, être enchantée, et la fête vantée sans que le sens y
perdît rien.
Aussi Théophile Gautier, le véritable prophète de la nouvelle
école, bien loin de revendiquer pour celle-ci le privilège de la pré-
cision, prétendait-il que sa supériorité consistait précisément dans
le vague des expressions. Selon lui, la langue française était de
toutes la moins propre à la poésie par son excès même de préci-
sion. Je tiens de Ghenavard qu'il rapprochait le vers; célèbre de
Corneille :
A l'obscure clarté qui tombe des étoiles,
de celui d'Hugo qui exprime la même idée :
Sombres sérénités des voûtes azurées.
Naturellement il jugeait le premier mauvais, et le second admi -
rable. Mais la raison? — Parce que, disait-il, le premier n'emploie
que des expressions précises et le second des expressions vagues.
Obscur est plus précis que sombre. Clarté est fort clair ; séré-
nités, on ne sait pas bien ce que c'est, surtout lorsqu'elles sont
plusieurs; étoiles est un objet déterminé; voûtes azurées un
terme générique. L'indéterminé doit toujours l'emporter sur le
déterminé.
En pressant légèrement cette théorie, on en ferait sortir cet
axiome, que la poésie doit être l'art déchanter pour ne rien dire.
Il y a bien de cela dans la nouvelle école, et l'on pourrait com-
mencer par la fin, vers par vers, plus d'une pièce de Victor Hugo,
sans qu'elle en souffrît visiblement.Quelques-unes en seraient même
améliorées. Gautier prétendait que les seules belles pièces de
Gérard de Nerval furent écrites lorsqu'il était devenu fou. M. de
Banville est allé jusqu'au'bout des conséquences, et il a écrit un