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534                         LA REVUE LYONNAISE
 venue et, comme s'il était do la famille,il s'attable avec eux, en causant de choses
 et autres.
    — Gomment se fait-il, dit le charbonnier, que vous vous soyez égaré si loin?
    — Je cherche la Peur, répondit Jean.
    — Eh bien ! vous ne sauriez mieux réusir : à deux cents mètres d'ici se trouve
 un vieux manoir où meurent de la Peur tous ceux qui y passent la nuit.
    — Où est-il, que j'y aille ?
    — Non ! s'écria la jeune fille, je ne veux pas, tu es trop jeune pour mourir.
    Et elle l'enlaça d'un regard si doux qu'elle aurait tenté le diable (si le diable
 l'avait vue) ; pourtant Jean ne se laissa séduire, et fut la nuit même au vieux
 manoir.
    La porte de fer en était fermée. Jean sonne. Au bruit qu'il fait les chauves-souris
 et les chats-huants volent épouvantés comme si la sonnette avait réveillé les
 revenants du château. La porte s'ébranle, grince sur ses gonds rouilles et s'ouvre
 toute seule devant une vaste cour déserte comme un cimetière, pleine de brames
stériles, de mauves, de pouillots et sur le sol des débris de statues et des vases
brisés. Dans le fond s'élevaient de grands escaliers disjoints, gris et tachetés
comme le dos des lézards gris. Jean traverse la cour, monte les escaliers, entre
dans la cuisine où tournait à la broche un chevreau de lait.
    Ne voyant personne, il s'assied près du tison, et lorsqu'il revient pour attiser le
feu, tombe du tuyau de la cheminée, la moitié d'une jambe éclaboussant la braise
dans la lèchefrite et sur le rôti. Sans s'émouvoir, Jean ramasse la jambe et la
jette dans un coin.
    Ensuite il tombe un pied, puis un bras, une main, et le cou, et la tête, et tout
un cadavre par morceaux, que Jean ramasse également et jette toujours au
même coin.
    Ainsi que des tronçons d'anguille qu'on vient de couper, les morceaux sautillent,
se recoquillent de telle sorte que les membres épars s'assemblent et forment de

si gènt arribon, fan à Jan la benvengudo, e, coume s'èro de l'oustau, l'ataulon em'éli, en
darlant da causo e d'autro.
  — Coume se fai, digue lou carbounié, que vous fugues esmarra tan liuen ?
  — Cerque la poù, ie respoundeguè Jan.
  — Eh bén ! poudès pas mies capita : à dous cent pas d'eici, s'atrove un vièi castelas que
toùti aqueli que ie couchon, n'en moron de la poù.
  — Mounte èi que i'ane ?...
  — Noun I cridë la chalo. Yole pas, que sies tropjouine pèr mouri.
  E l'embrasso d'un cop d'iue tant dous qu'aurié tenta lou diable (se lou diable l'avié visto).
Pamens Jan noun se laisso tenta, e vai la niue même au Castelas.
  La porto de fèrri èro barrado. Jan sono. Au brut que fai, H rato-penado e li bèu-1'ôli
volon, espavourdi, coume si la campaneto avié reviba li trèvo doù castèu; la porto s'esbrando
reno dins si goufoun rouvihous, e se duerb souleto davans la Vasto court deserto coume
un cementèri, preno de tranco-sa, de maulo, de fenoun, e pèr lou joû d'estatue routo e de
vas esclapa. Dins lou founs, mountavon de grand escalié desjoun, gris e taca coume
d'esquéno de rassado. Jean travèsso la court, mounto lis escalié, intro dins la cousino, ounte
viravo à la brocbo un cabrit de la.
  Jan vesènt res, s'assèto ras doù tisoun, e coume vai pèr empura lou gavèu, toumbo doù
canoun de la chaminéio uno mita de cambo, qu'espousco lou recaliëu dins la lichafrèu e
contro lou roustit. Sènso s'esmôure, Jan acampo la cambo e la jito dins un caire.
  E pièi toumbo un pèd, pièi un bras, uno man, e lou coù, e la tèsto, e tout un cadabre à
cha moussèu, que Jan acampo mai, e jito mai au même caire.
  Coume de tros d'Anguielo que vènon de chapouta, li moussèu sauterlejon, se revechinon