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LA MORALE DANS LES FABLES DE LA FONTAINE 381 ne vous a pas fort ému contre vos défauts, du moins vous a-t-il doucement encouragé à être homme de bien. Il s'est formé sur le compte de La Fontaine une opinion assez singulière qui ne peut être admise par aucun de ceux qui ont étudié sa vie et ses œuvres. On prétend qu'il existait dès le siècle de Louis XIV, parmi les génies qui l'illustrèrent, des hommes en avance sur leurs contem- porains, qui prévoyaient l'aurore d'un nouveau jour politique et social. La Fontaine serait un de ces hommes. Armé de quelques maximes tirées de ses œuvres, on le présente comme un ami de la liberté, un ennemi de l'injustice, un donneur de conseils au Roi-Lion dont les caprices, la tyrannie sont maintes fois censurés dans les fables. Il a écrit ce vers : Notre ennemi, c'est notre maître ! Les ennemis des rois ont vu dans ce mot toute la révolution en germe. L'un d'eux parlant de Louis XIV a rimé quatre mauvais vers pour dire : Il craint même, étrange faiblesse, L'Homère du peuple bêlant, Et mon La Fontaine le blesse, D'un mot de son âne parlant. La Fontaine serait donc un politique. Ce serait aussi un philo- sophe. Il aurait devancé la doctrine qui nie la destinée providen- tielle de l'homme et prétend que l'humanité est sa propre fin à elle- même ; suivant laquelle la morale n'est pas autre chose que la conformité des actions humaines au bien-être général; qui veut que la sanction de cette morale comme sa raison d'être soit cher- chée dans les faits humains. N'est-ce pas le système de La Fontaine? Une propose pas aux hommes un but surnaturel. Il leur dit de chercher en eux-mêmes le mobile de leurs actes : Faites le bien à ceux de qui vous en attendez. Jouissez dès aujourd'hui de peur que demain ce soit trop tard. Ne soyez pas avare, parce que l'avarice ne procure pas de vraie jouissance. Au besoin sachez être flatteur, parce que la flat- terie rapporte souvent quelque chose. Mais ne croyez pas aux flatteurs, parce que vous seriez leur dupe.