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366                   LA REVUE LYONNAISE

animaux qui parlent ne resteront pas sans réponse, si elles s'adres-
sent à un père ou à une mère. Rousseau n'a pas songé à cela : sans
doute parce que son malheureux disciple n'a pas cette ressource.
Tous, grâce à Dieu, ne sont pas aussi mal partagés.
   Mais alors, si l'enfant comprend, il sera donc initié à tous les
secrets de la ruse, du mensonge, del'égoïsme? C'est peut-être sup-
poser beaucoup de pénétration chez celui à qui l'on refusait tout à
l'heure assez d'esprit pour comprendre qu'un conte n'est pas une
histoire vraie.
   Cependant on peut admettre que, sur ce dernier point, Rousseau
n'a pas tout à fait tort et que la lecture de certaines fables de La
Fontaine a bien quelques inconvénients pour un enfant. Ce n'est pas
que la leçon morale en elle-même soit mauvaise, mais le danger
est dans la manière de la présenter. Le fabuliste ne propose pas
d'imiter la fourberie du renard. Il conseille seulement de se méfier
des flatteries intéressées. Par malheur, si la leçon tourne à la honte
du vaniteux, c'est le fripon qui en profite. Delà, une confusion qui
est à craindre chez un lecteur inexpérimenté.
   Faut-il pour cela proscrire Las fables de La Fontaine ? la conclu-
sion serait excessive. Il vaut mieux indiquer deux moyens bien
simples de parer à l'inconvénient. Ou bien, choisissez parmi les
fables, celles qui ne donnent pas l'affligeant spectacle du vice puni
au profit du vice, ou bien, et cela vaudra mieux, corrigez par des
observations intelligentes l'erreur que ce spectacle peut faire naître.
Après tout, je ne vois pas qu'il y ait grand mal à dire à des enfants
de six ans qu'il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur
profit. Ces enfants ne sont pas privés de conscience morale ; ils
n'auront pas de peine, pourvu qu'on les y aide, à discerner le bien
du mal, à comprendre que le succès ne justifie rien; en un mot
que le mensonge, même celui qui rapporte, est un vice comme la
vanité dont il abuse.
    Leur enseigner que la réussite n'est pas toujours du bon côté,
 que le mal est parfois impuni, que le bien reste souvent sans récom-
 pense, n'est-ce pas leur dire la vérité ? n'est-ce pas leur montrer
 la vie telle qu'elle est ? où est l'inconvénient de leur enseigner cette
 morale d'expérience, si, du reste, cet enseignement est complété par
 celui de la vraie morale.